Place actuelle de la dialyse péritonéale

Observations

Elles concernent huit patients au total du service de néphrologie et de dialyse du Centre Hospitalier Louis Pasteur de Cherbourg et de l’Association Lorraine pour le Traitement de l’Insuffisance Rénale (ALTIR) de Nancy. Les résultats que nous rapportons ont fait en partie l’objet de publications préliminaires [36,54].

Observation n° 1

La première observation concerne une femme âgée de 60 ans qui présente une cirrhose éthylique de type B dans la classification de Child (hypertension portale clinique patente et insuffisance hépato-cellulaire sévère, score de Pugh à 10). Cliniquement on notait la présence de varices œsophagiennes de stade II, d’une splénomégalie et d’une circulation abdominale collatérale. Le facteur V était à 25 %, le taux de prothrombine à 50 % et l’albuminémie à 20 g/l.
Elle a été hospitalisée en raison d’une insuffisance rénale aiguë anurique avec un syndrome néphritique aigu hypocomplémentaire dont l’étiologie est une glomérulonéphrite aiguë survenant lors de l’évolution d’un érysipèle. La phase anurique initiale est rapidement réversible après une semaine de dialyse péritonéale réalisée par l’intermédiaire d’un cathéter de Tenckhoff à un manchon mis en place par voie per-cutanée.
Les paramètres biologiques de la dialyse étaient les suivants:

Durée de traitement

1ère semaine
D/P Créatinine (4 h)

0,92

D/P Urée (4 h)

0,93

Clairance de la créatinine (l/1,73 m2/sem)

62

Clairance de l’urée (l/1,73 m2/sem)

70

KT/V urée (par semaine)

2,19

Ultrafiltration (l pour un 1,36% sur 4 h)

0,400

Ultrafiltration (l pour un 3,86% sur 4 h)

1,000




Cette observation, quoiqu’incomplètement documentée, montre cependant chez cette patiente un profil d’hyperperméabilité péritonéale alors que l’ultrafiltration reste élevée. Les clairances sont également parfaitement correctes
Cette patiente a malheureusement été perdue de vue dans les suites de cet épisode et son évolution à long terme est inconnue.


Observation n° 2

Cette observation concerne un homme de 55 ans éthylique présentant également une cirrhose éthylique de type B dans la classification de Child, caractérisée par une hypertension portale clinique avec une hématémèse en relation avec une gastropathie érosive et d’une évolution favorable malgré la sévérité de l'insuffisance hépato-cellulaire aggravée par un épisode d’hépatite alcoolique aiguë récent (score de Pugh à 10). Cliniquement on notait la présence de varices œsophagiennes de stade I, d’une splénomégalie, d’une circulation abdominale collatérale et d’angiomes stellaires nombreux. Le facteur V était à 34 %, le taux de prothrombine à 43 % et l’albuminémie à 18 g/l.
Ce patient a été hospitalisé en raison d’une insuffisance rénale aiguë anurique. Ici encore il s’agit d’un syndrome néphritique aigu hypocomplémentaire ayant succédé à un épisode de bronchopathie fébrile survenu quelques semaines auparavant. La ponction-biopsie rénale effectuée devant une anurie complète et prolongée établit l’existence d’une glomérulonéphrite proliférative endocapillaire diffuse.
Ce patient connaîtra une période d’anurie de trois mois dont la résolution tardive s’accompagnera de la normalisation du profil complémentaire.
Les paramètres biologiques de la dialyse étaient les suivants:

Durée de traitement

5ème semaine

12ème semaine

D/P Créatinine (4 h)

0,86

0,81

D/D0 Glucose (4 h)

0,17

0,28

D/P Urée (4 h)

0,95

0,92

Clairance de la créatinine (l/1,73 m2/sem)

66

61

Clairance de l’urée (l/1,73 m2/sem)

74

62

Ultrafiltration (l pour un 1,36% sur 4 h)

0,660

0,600

Ultrafiltration (l pour un 3,86% sur 4 h)

1,280

1,150

KT/V urée (par semaine)

1,74

1,63

Protéines du dialysat (g/24 h)

5,5

5,7




L’exploration péritonéale montre encore un profil d’hyperperméabilité avec des saturations en urée et créatinine du dialysat très élevées et un coefficient d’absorption glucidique également élevé, alors que l’ultrafiltration reste paradoxalement à un niveau supérieur à la normale. On peut également remarquer que les pertes protéiques restent tout-à-fait acceptables et plutôt inférieures à celles habituellement observées en dialyse péritonéale. D’ailleurs l’albuminémie va évoluer favorablement de 18 g/l à l’hospitalisation à 24 g/l à la sortie du patient. Les clairances permettent une dialyse d’excellente qualité avec seulement trois échanges quotidiens de 2 litres de solution isotonique.
Le sevrage éthylique a été obtenu chez ce patient et a pu être maintenu après la sortie du patient qui va actuellement bien, sa fonction rénale étant normalisée.


Observation n° 3

Il s’agit d’une femme de 43 ans éthylique chronique hospitalisée en Avril 1991 à l’occasion d’une deuxième décompensation ictéro-ascitique d’une hépatopathie éthylique et traitée pour une insuffisance rénale aiguë.
Elle présentait cliniquement un ictère cutanéo-muqueux intense et une ascite volumineuse ainsi qu’une oligo-anurie inférieure à 300 ml par jour. On notait également une circulation collatérale abdominale et des angiomes stellaires. L’haleine était fétide mais il n’y avait pas d’encéphalopathie à l’entrée. La patiente ne présentait pas de signes clinique de déshydratation et sa situation hémodynamique était stable (pression artérielle à 120/60 mmHg et pression veineuse centrale entre 5 et 12 cm d’eau).
Il n’y avait pas de varices œsophagiennes, mais l’échographie retrouvait des stigmates nets d’hypertension portale et une splénomégalie.
Biologiquement il existait une hyperbilirubinémie à 564 µmol/l, des g-GT à 101 UI/l et une ammoniémie à 83 µmol/l. Il existait une légère cytolyse et les sérologies virales de même que le dosage de l’a-FP étaient normaux. Le TP était à 55 %, le facteur V à 50 %, l’albuminémie à 31 g/l. Le taux de protéines dans le liquide d’ascite était de 10 g/l. Ce tableau correspond à un score de 10 sur l’échelle de Pugh (classe B de Child et Turcotte).
Sur le plan de la fonction rénale la créatininémie était à 861 µmol/l avec une urée sanguine à 25,7 mmol/l. La natriurèse sur échantillon était indosable et le sédiment urinaire ne montrait pas d’anomalie en dehors d’une protéinurie minime de 0,44 g/l. Il n’y a pas eu de ponction-biopsie rénale.
Le diagnostic retenu a été celui d’un syndrome hépatorénal venant compliquer une hépatite alcoolique aiguë.
Elle a été traitée par dialyse péritonéale (le cathéter étant implanté au lit de la malade sous couvert d’une transfusion de PPSB et antibioprophylaxie) et perfusion de dopamine à la dose de 3 µg/Kg.mn, de 360 mg de furosémide par jour et d’albumine, ce qui a permis de relancer la diurèse et d’aboutir à une fonction rénale subnormale (créatininémie à 113 µmol/l au 13ème jour) pendant que, dans le même temps, la fonction hépatique revenait à la normale. La dialyse a été arrêtée après 13 jours de traitement, le cathéter étant laissé en place pendant encore une semaine de façon à obtenir un assèchement de l’ascite.
Les paramètres biologiques de la dialyse étaient les suivants:

Durée de traitement

3ème jour

10ème jour

D/P Créatinine (4 h)

1,00

0,99

D/P Urée (4 h)

0,98

1,00

Clairance de la créatinine (l/1,73 m2/sem)

51

51

Clairance de l’urée (l/1,73 m2/sem)

51

51

KT/V urée (par semaine)

1,45

1,45

Ultrafiltration (l pour un 13,6% sur 4 h)

0,400

0,450

Ultrafiltration (l pour un 3,86% sur 4 h)

1,485

 

Protéines du dialysat (g/24 h)

23,7

18,4




Un test d’équilibration a été effectué au troisième jour d’évolution et donne le temps APEX de 23 mn, correspondant à une hyperperméabilité très importante, qui reste encore dans ce cas paradoxalement compatible avec une bonne ultrafiltration (malgré la restauration par ailleurs d’une diurèse quotidienne d’un litre à un litre et demi), mais chez cette patiente les fuites protidiques dans le dialysat sont élevées et imposent une supplémentation en albumine pendant toute la durée du traitement.





Avec deux ans de recul, cette patiente, actuellement sevrée de son intoxication alcoolique, va parfaitement bien et n’a pas de séquelles de cet épisode.


Observation n° 4

Il s’agit d’un patient de 41 ans, cirrhotique (score de 9 sur l’échelle de Pugh, classe B de Child et Turcotte) et éthylique, suivi depuis deux ans pour une hématurie microscopique et un syndrome néphrotique impur avec à la biopsie rénale une glomérulonéphrite membrano-proliférative à dépôts d’IgA.
Il a été mis en dialyse en octobre 1991 à l’occasion d’une poussée évolutive aiguë de son insuffisance rénale avec anurie et décompensation œdémato-ascitique ayant entraîné une prise de poids de 25 Kg. Le cathéter initialement mis en place au lit du malade a été repositionné chirurgicalement en novembre 1991 à l’occasion d’une cure de hernie inguinale.
Le suivi en dialyse péritonéale s’est fait alors sans difficulté technique majeure en dehors d’une péritonite à Escherichia Coli en janvier 1992.
Ce patient a dû être transféré en hémodialyse en février 1992 après 3 mois de traitement en raison d’une tentative de suicide par arme blanche avec plaie abdominale et section du cathéter de dialyse traduisant probablement un rejet total de la technique.
Les paramètres biologiques de la dialyse étaient les suivants:

Durée de traitement

6ème semaine

10ème semaine

D/P Créatinine (4 h)

0,97

0,97

D/D0 Glucose (4 h)

0,17

 

Clairance de la créatinine (l/1,73 m2/sem)

51,6

53

Clairance de l’urée (l/1,73 m2/sem)

52

54

KT/V urée (par semaine)

1

1,02

Ultrafiltration (l pour un 1,36% sur 4 h)

0,500

0,600

Ultrafiltration (l pour un 3,86% sur 4 h)

1,290

1,850

Protéines du dialysat (g/24 h)

7,46

 



On retrouve dans cette observation une hyperperméabilité péritonéale avec une capacité d’ultrafiltration plus que conservée et des pertes protidiques acceptables permettant la poursuite de la technique malgré une albuminémie initiale de 22 g/l. L’équilibre dialytique a d’ailleurs été obtenu chez ce patient avec seulement trois échanges quotidiens de 2 litres de solution isotonique.
Cette observation permet d’attirer l’attention sur le fait que la prise en charge en dialyse d’un patient est un acte qui doit considérer l’individu-patient dans sa globalité et non seulement sa situation biologique au sens technique du terme. La survie au prix d’un coût affectif excessif en raison d’une technique inadaptée ou trop lourde n’est pas forcément souhaitable et le choix de la stratégie thérapeutique doit en tenir compte. De plus, chez ce patient, le sevrage éthylique, imposé par l’équipe médicale, n’a pas pu être maintenu plus de quelques semaines.


Observation n° 5

Il s’agit d’une patiente de 49 ans, porteuse d’une cirrhose éthylique de type B prouvée histologiquement, ayant fait deux épisodes de décompensation œdémato-ascitique en 1986 et 1988 et sevrée de son intoxication éthylique depuis 1988.
Sur le plan néphrologique, elle souffre d’une hypertension artérielle sévère ancienne avec une insuffisance rénale longtemps modérée. La ponction-biopsie rénale montre des lésions de glomérulonéphrite chronique avec des dépôts mésangiaux d’IgA sur tous les glomérules et des dépôts de C1q, de C3 et de C4.
En juillet 1990 intervient une décompensation aiguë de l’insuffisance rénale avec œdèmes des membres inférieurs et œdème aigu du poumon avec une créatininémie à 424 µmol/l. La patiente est alors prise en charge par le service de néphrologie de l’hôpital de Nancy et la mise en dialyse intervient en novembre 1990 avec l’insertion d’un cathéter de Tenckhoff.
Il n’y a pas eu de difficulté technique majeure et en particulier aucune complication infectieuse depuis la prise en charge en dialyse.
Les paramètres biologiques de la dialyse étaient les suivants:

Durée de traitement

2 mois

D/D0 Glucose (2 h)

0,38

D/P Urée (2 h)

0,84

Clairance de la créatinine (l/1,73 m2/sem)

49

Clairance de l’urée (l/1,73 m2/sem)

70

KT/V urée (par semaine)

2,05

Ultrafiltration (l pour un 3,86% sur 4 h)

1,300

Protéines du dialysat (g/24 h)

7,2




Chez cette patiente ayant une diurèse résiduelle de 700 ml par jour, les clairances totales de la créatinine et de l’urée sont respectivement de 9,2 ml/mn/1,73 m2 (soit 92 l/semaine) et de 9,4 ml/mn/1,73 m2 (soit 94 l/semaine). Trois échanges quotidiens seulement suffisent à obtenir ces résultats.

Le temps APEX calculé est de 47 mn, ce qui correspond à un profil d’hyperperméabilité sans perte d’ultrafiltration, avec des pertes protidiques restant dans la moyenne de celles habituellement observées en dialyse péritonéale. La variation du sodium est normale (baisse de 133 à 116 mEq/l).





Observation n° 6

Il s’agit d’un patient de 46 ans à la mise en dialyse péritonéale, suivi depuis 1955 pour une glomérulonéphrite chronique découverte à l’âge de 20 ans lors du service national en raison d’une protéinurie. L’insuffisance rénale apparaît en 1965 et le patient est hémodialysé de 1969 à 1971, date à laquelle il bénéficie d’une greffe rénale. En 1979, à 44 ans , une ascite nécessitant des ponctions itératives apparaît, accompagnée de varices œsophagiennes de grade III, d’une hypertension portale et d’une splénomégalie, correspondant cliniquement à une cirrhose hépatique de type B. La biopsie hépatique (en 1979) montre des signes de stéatose touchant environ 50 % des cellules visibles. Une seconde biopsie hépatique est tentée en 1988 par voie transjugulaire mais le prélèvement est techniquement trop insuffisant (cinq fragments de très petite taille et très dissociés) pour que l’anatomo-pathologiste puisse donner un diagnostic certain. Biologiquement on note un taux de prothrombine entre 75 et 80 %. En août 1980 la créatininémie est à 200 µmol/l. L’aggravation de l’insuffisance rénale impose la mise en dialyse péritonéale en octobre 1981.
L’évolution en dialyse est marquée par la survenue d’une dizaine de péritonites en 12 ans. Il faut cependant remarquer que sept de ces péritonites interviennent dans les quatre premières années. Il s’agit de trois péritonites à Staphylocoque (dont une à Staphylocoque Aureus et deux à Staphylocoque Epidermidis) et d’une péritonite à Serratia, le germe n’étant pas retrouvé dans les trois autres cas. Avec l’adoption de systèmes déconnectables, on ne retrouve que trois épisodes de péritonites en huit ans, dont deux péritonites à Staphylocoque Aureus secondaires à une infection du tunnel et ayant nécessité à deux reprises le changement de cathéter et une péritonite à corynébactérie.
En 1987, soit après 6 ans de dialyse péritonéale, l’aggravation d’une hyperparathyroïdie secondaire à l’insuffisance rénale, devenue incontrôlable par le traitement médical, a nécessité une parathyroïdectomie.
Les paramètres biologiques de la dialyse étaient les suivants:

Durée de traitement

6 ans

8 ans

9 ans

D/D0 Glucose (4 h)

0,26

0,21

0,32 (2 h)

D/P Urée (4 h)

0,89

1,00

0,83 (2 h)

Clairance de la créatinine (l/1,73 m2/sem)

   

64

Clairance de l’urée (l/1,73 m2/sem)

   

66

KT/V urée (par semaine)

   

2,09

Ultrafiltration (l pour un 3,86% sur 4 h)

0,920

0,800

0,300

Protéines du dialysat (g/24 h)

   

4,7



A plusieurs reprises les courbes d’équilibration mettent en évidence une perméabilité normale, puis une hyperperméabilité nette :

- 11/86 Perméabilité normale. Ultrafiltration 1060 ml.
- 02/88: Perméabilité normale. Ultrafiltration 920 ml. APEX 51 mn. Variation du sodium normale (de 130 à 125 mEq/l)




- 11/89: Hyperperméabilité. Ultrafiltration 800 ml. APEX 34 mn. Variation du sodium anormale (de 133 à 133 mEq/l)




- 10/90: Hyperperméabilité. Ultrafiltration 300 ml. APEX 42 mn. Variation du sodium anormale (de 132 à 134 mEq/l)



Là encore on assiste à la coexistence d’une hyperperméabilité permettant une excellente qualité de dialyse et d’une ultrafiltration paradoxalement élevée.
Les pertes protéiques restent tout-à-fait dans les limites habituelles en dialyse péritonéale.


Observation n° 7

Il s’agit d’un patient de 53 ans à la mise en dialyse péritonéale, souffrant d’une cirrhose post-hépatitique depuis 1969 et présentant également un délire psychotique depuis une vingtaine d’année.
L’insuffisance rénale est découverte à la suite d’une infection urinaire en 1984; on met alors en évidence une protéinurie et une hématurie microscopique. La biopsie rénale est effectuée en mars 1985 devant un syndrome néphrotique impur avec insuffisance rénale modérée et met en évidence une glomérulonéphrite membrano-proliférative à dépôts d’IgA. La cirrhose s’accompagne de varices œsophagiennes de grade II et d’un hypersplénisme (cirrhose de type B). La mise en dialyse péritonéale intervient en 1986 devant l’aggravation rapide de l’insuffisance rénale sans facteur déclenchant évident. La dialyse péritonéale est choisie en raison de l’état hépatique du patient.
L’évolution en dialyse péritonéale se fait sans incident notable en dehors d’une péritonite à Staphylocoque coagulase-négatif à la suite d’une erreur de manipulation en août 1991.
Les paramètres biologiques de la dialyse étaient les suivants:

Durée de traitement

4 ans

5 ans

D/D0 Glucose (2 h)

0,48

0,38

D/P Urée (2 h)

0,68

0,85

Clairance de la créatinine (l/1,73 m2/sem)

60

54

Clairance de l’urée (l/1,73 m2/sem)

56

63

KT/V urée (par semaine)

1,38

1,56

Ultrafiltration (l pour un 3,86% sur 4 h)

0,560

0,680

Protéines du dialysat (g/24 h)

10,1

11,8



Les pertes protidiques sont ici à la limite supérieure de ce qui est retrouvé habituellement en dialyse péritonéale, sans que la protidémie du patient en soit affectée ainsi que nous le verrons plus loin.
Les explorations de la perméabilité péritonéale mettent en évidence chez ce patient une fonction péritonéale normale:
- 07/90: Perméabilité normale. Ultrafiltration 560 ml. APEX 78 mn. Variation du sodium normale (de 127 à 120 mEq/l)





- 09/91: Perméabilité normale. Ultrafiltration 680 ml. APEX 50 mn. Variation du sodium normale (de 130 à 124 mEq/l)






Observation n° 8

Il s’agit d’un patient de 55 ans, souffrant d’une cirrhose éthylique de type B ayant entraîné à l’âge de 49 ans une première décompensation avec une hémorragie digestive par varices œsophagiennes, un coma avec complications pulmonaires et neurologiques graves et en particulier deux arrêts cardiaques. Le sevrage alcoolique est obtenu à 52 ans, soit trois ans avant la mise en dialyse péritonéale. Il existe également un diabète non-insulino-dépendant traité par régime et une hypertension artérielle.
Sur le plan néphrologique on note un épisode d’hématurie en 1981 à l’âge de 51 ans. Une insuffisance rénale modérée avec une hématurie microscopique et une protéinurie à 1,46 g/24 h est découverte en 1982. Le diagnostic étiologique de cette insuffisance rénale reste hypothétique en l’absence de biopsie rénale (néphroangiosclérose ou néphropathie à dépôts d’IgA). La mise en dialyse est décidée en 1985 en raison de l’aggravation progressive de l’insuffisance rénale, avec l’apport d’insuline, le régime ne suffisant plus à équilibrer le diabète.
La dialyse péritonéale est poursuivie sans incident jusqu’en 1988 en dehors d’un épisode de péritonite sans germe identifié en mars 1988.
Le patient décède en mai 1988 en raison d’un arrêt cardiaque en relation avec un adénocarcinome hépatique.
Pendant les quatre ans de la dialyse, la technique a été bien supportée et le patient a pu se prendre en charge à domicile.
Les explorations fonctionnelles péritonéales n’ont pas été effectuées chez ce patient dont le dossier a été repris rétrospectivement pour cette étude.


Récapitulation

Les paramètres biologiques de la dialyse des 7 patients ayant bénéficié d’une exploration de la qualité de leur dialyse sont rappelés dans le tableau suivant:


Patient n°

1

2

3

4

5

6

7

D/P Créatinine (4 h)

0,92

0,86

1,00

0,97

     

D/D0 Glucose (4 h)

 

0,17

 

0,17

0,38(2h)

0,32(2h)

0,38(2h)

D/P Urée (4 h)

0,93

0,95

0,98

 

0,84(2h)

0,83(2h)

0,85(2h)

Clairance de la créatinine (l/1,73 m2/semaine)

62

66

51

51,6

49 (92)

64

54

Clairance de l’urée (l/1,73 m2/semaine)

70

74

51

54

70 (94)

66

63

KT/V urée (par semaine)

2,19

1,74

1,45

1,02

2,05

2,09

1,56

Ultrafiltration (ml pour un 1,36%)

400

660

400

500

     

Ultrafiltration (ml pour un 3,86%)

1000

1280

1485

1290

1300

300

680

Protéines du dialysat (g/24 h)

5,5

23,7

7,46

7,2

4,7

11,8

 


Les chiffres de clairance entre parenthèses correspondent aux clairances totales dialytique et rénale pour les patients ayant une diurèse résiduelle.

On peut noter que les pertes protidiques dans le dialysat, à l’exception de la patiente n° 3, restent dans la moyenne de celles relevées habituellement en dialyse péritonéale.
La qualité de la dialyse chez nos patients est également comparable à celle retrouvée habituellement en dialyse péritonéale chez des patients ne souffrant pas d’hépatopathie. Les clairances restent équivalentes à celles habituellement observées en dialyse péritonéale continue ambulatoire [116]. On peut observer que les clairances de l’urée et de la créatininémie sont quasiment superposables, sans que la raison précise puisse en être déterminée. Les clairances basses du patient n° 4 sont principalement dues au fait que ce patient était équilibré avec trois échanges quotidiens seulement.
Nous avons également calculé les KT/V hebdomadaires de l’urée, ce qui revient à ramener les clairances hebdomadaires au volume de distribution de l’urée de façon à obtenir un index de qualité de dialyse permettant les comparaisons entre patients. La moyenne s’établit à 1,73±0,42, ce qui est comparable aux résultats habituellement retrouvés chez nos patients. Les variations individuelles sont cependant relativement importantes, et recouvrent probablement deux faits : d’une part certains patients n’effectuent que trois échanges quotidiens, et d’autre part le volume de distribution de l’urée est particulièrement difficile à estimer chez des patients en situation d’inflation hydrique du fait de l’ascite et parfois d’œdèmes des membres inférieurs. Pour le calcul, nous avons calculé ce volume de distribution en l’estimant à 58 % du poids une fois obtenu l’assèchement de l’ascite.
Le recul important dont on dispose à propos des patients n° 5, 6 et 7 permet de vérifier l’excellente tolérance de la dialyse sur le plan biologique et le peu d’influence des pertes protidiques du dialysat sur la protidémie des patients:






L’efficacité à long terme de la dialyse est attestée par les courbes d’urée sanguine et de créatininémie des patients qui restent à-peu-près stables au cours du temps:








Chez le patient n° 7, l’élévation initiale de la créatininémie correspond à la diminution de la fonction rénale résiduelle et de la diurèse, puis à l’installation de l’anurie.
Du point de vue de la tolérance à long terme au traitement, on peut noter que les taux de glycémie restent parfaitement raisonnable, en dehors d’ “accidents” plus ou moins inévitables. La technique a d’ailleurs parfaitement été supportée par le patient n° 8 qui était diabétique, même s’il a fallu recourir à l’insulinothérapie, le régime seul ne pouvant évidemment suffire à équilibrer le diabète du fait des apports glucidiques importants de la dialyse.




L’hémoglobine glycosylée a été surveillée de façon itérative chez les patients n° 6 et 7. Les taux retrouvés sont de 5,7 ± 0,49 % chez le patient n° 6 et de 5,7 ± 0,65 % chez le patient n° 7 pour une normale de 4 à 5,6 %, soit des taux honorables étant donné les apports glucidiques. Cependant le phénomène de carbamylation de l’hémoglobine et l’anémie rencontrés au cours de l’insuffisance rénale chronique ont été mis en cause comme rendant délicat le dosage de l’hémoglobine glycosylée chez les patients insuffisants rénaux. La fructosamine serait pour ces patients un témoin plus fiable de l’équilibre glycémique [35]. La fructosamine a été également surveillée chez ces deux patients. Les taux retrouvés sont de 3,32±0,18 mmol/l chez le patient n° 6 et de 2,72±0,2 mmol/l chez le patient n° 7 pour une normale de 2,4 à 3,4 mmol/l.
Un autre critère de bonne qualité de dialyse et de vie est le taux d’hémoglobine, qui reste également tout-à-fait stable chez nos trois patients:




Ces résultats confirment le fait que la dialyse péritonéale est la méthode qui permet le mieux de contrôler l’anémie de l’insuffisance rénale. Les taux d’hémoglobine relevés dans les séries des patients en dialyse péritonéale sont en moyenne supérieurs d’un quart à ceux des patients en hémodialyse [155].

Résultats cliniques

Les résultats de survie de nos malades sont particulièrement impressionnants puisque nous avons 100 % de survie actuellement, le décès après 3 ans de dialyse du patient n° 8 ne pouvant pas être attribué à la technique. Que la dialyse soit instituée pour une courte période ou au contraire qu’il s’agisse de dialyse chronique, nous enregistrons d’excellents résultats. Nous allons reprendre les résultats des différentes séries que nous avons déjà recensées depuis 1979 en distinguant dialyse aiguë et dialyse chronique.

Résultats en dialyse aiguë

Série

Hépatopathie

Néphropathie

Durée de dialyse

Devenir

Clark [26]

Cirrhose SHR 10 jours Récupération
Mactier [96] Hépatite aiguë ? 2 jours Récupération
Hépatite aiguë ? 20 jours Récupération
Hépatite aiguë ? 4 jours Récupération
Hépatite aiguë ? 14 jours Décès (nécrose hépatique)
Poulos [118] Cirrhose éthylique SHR 5 semaines Récupération initiale, puis syndrome néphrotique
Hépatite aiguë SHR 3 semaines Récupération
Cas personnels (Freida [54]) Cirrhose éthylique GNA 1 semaine Récupération
Cirrhose éthylique GNA 3 mois Récupération
Hépatopathie éthylique SHR 13 jours Récupération


SHR: Syndrome hépatorénal GNA: Glomérulonéphrite aiguë

Nous retrouvons 10 patients au total, dont 9 excellents résultats: 90 % de survivants et récupération d’une fonction rénale normale dans tous ces cas, avec cependant l’apparition chez une des patientes de Poulos [118] d’un syndrome néphrotique avec une insuffisance rénale modérée mais stable dans les trois années qui ont suivi l’épisode aigu initial, sans qu’il soit précisé dans l’article si les deux pathologies sont liées. L’un des patients de Mactier [96], souffrant d’une hépatite virale fulminante, est décédé d’une nécrose hépatique massive.


Résultats en dialyse chronique

Série

Hépatopathie

Néphropathie

Recul en dialyse

Devenir

Segaert [139]

Cirrhose post-HB GNC 20 mois Décès (encéphalopathie)
Marcus [101] Hépatopathie éthylique Petits reins 4 ans Décès (empyème)
Cirrhose PKR 8 ans HD (péritonite sclérosante)
Cirrhose PKR 18 mois DPCA
Hépatopathie éthylique Sclérose glomérulaire 2 ans DPCA
Hépatopathie éthylique SHR ? 2 ans DPCA
Hépatite chronique Petits reins 2 mois Décès
Hépatopathie éthylique Néphropathie diabétique 9 mois HD (incapacité à se prendre en charge)
Amylose primitive Amylose 4 mois Décès (arrêt cardiaque)
Cirrhose éthylique SHR 3 mois Décès (encéphalopathie)
Cas personnels (Freida [54] et Durand [36]) Cirrhose éthylique GNC 3 mois HD (autolyse)
Cirrhose éthylique GNC 3 ans DPCA
Cirrhose GNC 12 ans DPCA
Cirrhose post-HB GNC 7 ans DPCA
Cirrhose éthylique GNC ou néphroangiosclérose ? 3 ans Décès (adénocarcinome hépatique)


HD: hémodialyse DPCA: dialyse péritonéale continue ambulatoire GNC: Glomérulonéphrite chronique
HB: Hépatite B SHR: Syndrome hépatorénal PKR: Polykystose rénale

En dialyse chronique, les résultats peuvent sembler moins probants. Nous retrouvons au total 15 patients qui ont tous survécu au moins 2 mois à la mise en dialyse (survie moyenne de 37 mois en dialyse péritonéale), soit au total 46 années-patients d’application de la technique. 6 sont actuellement décédés, après en moyenne 19 mois de dialyse. 3 ont dû être transférés en hémodialyse pour diverses raisons. 6 sont encore dialysés en dialyse péritonéale. La coexistence d’une insuffisance rénale et d’une hépatopathie sévère est habituellement grevée d’une mortalité très importante à court terme et ces résultats restent donc très bons.
La qualité de vie en dialyse péritonéale est également considérée habituellement comme très acceptable. Il faut néanmoins garder à l’esprit que nous avons souvent affaire à des patients psychologiquement fragiles, ainsi que le soulignent la tentative d’autolyse du patient n° 4, manifestement dirigée dans ses modalités contre la dialyse péritonéale, et l’incapacité manifeste d’une des patientes de Marcus à se prendre en charge, imposant son transfert en hémodialyse après 9 mois de dialyse. Les bons résultats cliniques de notre série n’ont été obtenus à long terme que chez les patients dont nous avons pu obtenir le sevrage éthylique.


Discussion

Nous allons d’abord reprendre point par point les difficultés mises en avant dans les séries les plus anciennes et ayant entraîné jusqu’à ces dernières années le quasi-abandon de la dialyse péritonéale chez les patients souffrant d’hépatopathie grave, en les comparant à nos données personnelles et à celles publiées récemment dans la littérature.

Abord péritonéal

L’accès péritonéal n'a jamais constitué une véritable préoccupation chez nos patients et les troubles de la coagulation, certes présents chez eux, n’ont pas entraîné de complications hémorragiques. Il n’y a pas eu non plus de plaie intestinale.
Dans la série de Marcus [101], les neuf cathéters ont tous été placés par voie percutanée en position paramédiane par l’équipe médicale. Avant 1985, Marcus utilisait un trocart en acier, et après 1985, un guide métallique avec une gaine amovible. Il n’a rencontré aucune complication hémorragique sérieuse et il n’y a eu aucune plaie intestinale.
Le recours à une technique percutanée nous paraît parfaitement réalisable dès lors que l'on utilise une procédure limitant au maximum l'effraction pariétale, dans la mesure où les pathologies en cause sont susceptibles d’être réversibles à brève échéance, la technique chirurgicale restant évidemment préférable en cas de mise en dialyse chronique. Cette technique est d’ailleurs préconisée par de nombreux auteurs en ce qui concerne la mise en place d’un cathéter péritonéal chez les cirrhotiques dans le cadre du traitement de l’ascite réfractaire par filtration et réinfusion de l’ascite [101]. Nous avons habituellement recours à la ponction de la cavité péritonéale à l'aide d'un trocart de petit calibre destiné à la mise en place d'un guide métallique. L'effraction pariétale est ainsi minimisée par rapport au risque de blessures des veines collatérales susceptibles d’être causées par le trocart de Tenckhoff, et autorise après dilatation du trajet transpariétal la mise en place non traumatique d’un cathéter à deux manchons. Il faut toutefois souligner que l’expérience de l’opérateur est le facteur primordial de la réussite de la mise en place sans incident du cathéter de dialyse par cette méthode. Une antibioprophylaxie est recommandée pour éviter les complications infectieuses au niveau du tunnel.

Complications septiques

Dans notre série, l’incidence des péritonites s’établit à 13 épisodes pour 168 mois-patients, soit un épisode tous les 13 mois-patients en moyenne. Cependant ce chiffre doit être pondéré en raison de l’apparition des dispositifs déconnectables à usage unique. On n’observe plus alors que 6 épisodes pour 120 mois-patients, soit 1 épisode tous les 20 mois-patients, chiffre superposable à celui des infections péritonéales observées habituellement en dialyse péritonéale. La plupart de ces péritonites, quand un germe a pu être mis en évidence, sont des péritonites à Staphylocoque (3 à Staphylocoque coagulase-positive et 3 à Staphylocoque coagulase-négative), en relation le plus souvent avec une infection du tunnel ou une faute de manipulation. Il a été noté un épisode de péritonite à Escherichia Coli chez le patient n° 4 et un épisode de péritonite à Serratia chez le patient n° 6, pouvant être éventuellement d’origine porto-cave.
Dans la série publiée par Marcus [101], l’incidence de péritonite est de 1 épisode tous les 15 mois-patients en moyenne. Dans cette série, on retrouve 7 péritonites à Staphylocoque coagulase-négative, 1 péritonite à Staphylocoque coagulase-positive, 4 péritonites à Escherichia Coli et 1 péritonite à un germe gram-négatif non identifié. Dans deux cas, il n’a pas été retrouvé de germe. Toutes ces péritonites ont pu être traitées avec succès par une antibiothérapie locale sans nécessiter de changement de cathéter.
La patiente de Segaert [139] a par contre connu un nombre anormalement élevé de péritonites, toutes à Staphylocoque. Cependant elle était prise en charge chez elle par son mari, âgé de 70 ans, et il semble que ces péritonites soient toutes dues à des fautes de manipulation.
Dans la série de Mactier en 1986 [96], on retrouve une péritonite à Staphylocoque coagulase-négative, traitée par ablation du cathéter et traitement antibiotique intraveineux.
Les complications infectieuses les plus graves se retrouvent dans l’observation plus ancienne (1979) de Clark et O’Leary [26] puisque dans ce cas on observe une péritonite récidivant 4 semaines plus tard et compliquée d’une pleurésie purulente droite. Il faut souligner qu’à cette date les modalités modernes de la dialyse péritonéale (et en particulier les dispositifs déconnectables) n’étaient pas encore employées.
Nous avons déjà signalé l’importance de l’hygiène des mains et des soins de l’émergence du cathéter en dialyse péritonéale, ainsi que sur la nécessité de toujours respecter un protocole très strict pour les échanges. Le cathéter de dialyse est une porte ouverte sur l’extérieur, et la moindre faute de manipulation est immédiatement sanctionnée. Ceci est d’autant plus important quand on s’adresse à des patients éthyliques qu’on espère pouvoir éduquer suffisamment pour qu’ils puissent être pris en charge à domicile par eux-mêmes ou leur entourage. Toutes nos séries montrent une nette prédominance des infections à Staphylocoque sur les péritonites à germes Gram-négatif, ce qui indique bien la primauté des infections exogènes par rapport aux infections endogènes plus classiquement retrouvées chez les patients ascitiques. Les résultats observés sont excellents chez les patients dont la coopération a pu être obtenue de façon correcte.

Pertes protéiques

Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, les pertes protéiques chez 5 de nos 8 patients restent dans la moyenne de celles observées au cours de la dialyse péritonéale et le suivi avec parfois un très long recul de trois des patients n’a pas montré de baisse significative de leur protidémie. Il faut toutefois tempérer ces résultats car nous n’avons pas de renseignements précis sur leur albuminémie, ce qui serait plus significatif.
Dans le cas de la patiente n° 3, les pertes protidiques ont certes été très importantes, mais la situation est toujours restée maîtrisable par la perfusion d’albumine, procédure acceptable dans la mesure où il s’agissait d’une situation de courte durée, la dialyse péritonéale n’ayant duré que 13 jours.
Dans le cas de la patiente n° 1, les pertes protidiques sont malheureusement inconnues. Cependant l’équipe n’a pas rencontré de difficulté particulière en relation avec la protidémie de cette patiente, dont la dialyse a également été de très courte durée (une semaine).
Dans la série de Marcus [101], l’albuminémie est restée stable pour 7 des 9 patients. Pour un des patients, elle a baissé de 30 à 24 g/l en 4 ans, date à laquelle il est décédé d’un empyème. Pour le dernier patient, le décès survenu après deux mois de dialyse seulement n’a pas permis de suivre ce paramètre de façon suffisamment précise.
La patiente de Segaert [139] a vu elle sa protidémie diminuer de 67 à 56 g/l. Il faut cependant souligner que cette patiente était soumise à un régime hypoprotidique du fait de la survenue avant sa mise en dialyse péritonéale de multiples épisodes de coma hépatique avec hyperammoniémie.
Dans la série de Poulos [118] nous n’avons de renseignements que sur une seule des deux patientes dont l’albuminémie est restée stable pendant toute la durée de la période de dialyse péritonéale.
Un début d’explication à ces faibles pertes protidiques dans le dialysat chez des patients réputés comme subissant des pertes protidiques non négligeables dans le compartiment ascitique pourrait être apporté par les travaux de Schaffner et Popper [134] que nous avons déjà signalés dans le chapitre consacré à la formation de l’ascite. Ces deux auteurs ont montré que l’évolution des cirrhoses s’accompagne d’un phénomène de capillarisation des sinusoïdes hépatiques qui diminue leur perméabilité aux protéines, si bien que la richesse en protéines de la lymphe hépatique diminue nettement avec l’aggravation de la cirrhose. Chez la patiente n° 3, l’évolution à long terme a montré qu’il s’agissait plus d’une hépatite alcoolique aiguë sur une stéatose que d’une cirrhose déjà installée, puisque le sevrage éthylique a permis de retrouver une fonction hépatique normale. Si l’on suit les conclusions de Schaffner et Popper, il est donc logique de retrouver chez cette patiente une ascite riche en protéines, alors que chez les autres patients dont la cirrhose est déjà ancienne, la baisse de la perméabilité des sinusoïdes pour les protéines ne produit qu’une ascite relativement pauvre en protéines, ce qui permet ainsi de limiter les pertes à un niveau acceptable en dialyse péritonéale.

Efficacité des échanges transmembranaires

L’étude des performances péritonéales chez ces patients fait apparaître un profil évocateur d'une hyperperméabilité caractérisée par une saturation du dialysat atteignant 83 à 98 % à 4 heures pour l’urée. Parallèlement, une résorption excessive du gradient de glucose contraste avec la production d'une ultrafiltration nette mesurée qui atteint paradoxalement les valeurs supérieures de la normale. Nous avons déjà évoqué la seule étude publiée à ce jour sur l’exploration de la fonction péritonéale chez les patients souffrant d’hépatopathie chronique et qui est celle de l’équipe de Dadone en 1990 [29]. Cette étude montre également une ultrafiltration élevée chez les patients cirrhotiques avec une augmentation significative du transport de la créatinine et des protéines, ainsi que l’absence totale de corrélation entre l’ultrafiltration et l’absorption glucidique ou entre l’ultrafiltration et la concentration en sodium du dialysat.
Bien que la coexistence d'une hypoalbuminémie et d'une hypertension veineuse dans le secteur splanchnique tendent à s'imposer en première hypothèse pour rendre compte d'un tel paradoxe, aucun résultat publié à ce jour ne permet de supporter une telle hypothèse.
Bien au contraire, des études histopathologiques effectuées au cours de nécropsies de patients cirrhotiques ascitiques ont fait apparaître d'importants épaississements fibreux du péritoine bien difficiles à concilier avec un tableau d’hyperperméabilité [22].
Si l'on peut raisonnablement douter de l'origine transcapillaire d'une production aussi importante d’ultrafiltration chez nos patients, comment interpréter cette ultrafiltration paradoxalement élevée en présence d'un gradient de dextrose effondré?
Il est certainement tentant de proposer la participation d'une baisse de la pression oncotique plasmatique directement en rapport avec l’hypoalbuminémie. Mais bien que l'explication de ce phénomène ne soit certainement pas univoque, toutes les tentatives de mobiliser l'ascite cirrhotique par des perfusions d'albumine ont été vouées à l’échec [59]. De même de nombreux arguments expérimentaux semblent accréditer l’idée que le capillaire splanchnique ne puisse pas être considéré comme la source principale de l'ascite cirrhotique [53,57,71,89,100,102,105,124,142,164] et par conséquent de l’ultrafiltration dialytique de nos patients.
En revanche il parait plausible d'imaginer que la résorption lymphatique sous-diaphragmatique réduisant l’ultrafiltration nette de nos patients en dialyse péritonéale puissent être ici compromise du fait d'une saturation des voies de drainages lymphatiques thoraciques soumises a une augmentation de flux pouvant atteindre 8 à 10l par jour chez le cirrhotique. Tant que l'augmentation du flux lymphatique d'origine sinusoïdale est compensé par les larges capacités de drainage des canaux thoraciques l'ascite demeure pratiquement infraclinique tandis que le débordement de ce dispositif s'accompagne d'une transsudation directe de la lymphe hépatique au travers de la capsule hépatique (cf figure 8).
On peut rapprocher de nos résultats ceux de Ings et al. [73] et de Rubin et al. [131] qui ont traité au début des années 1980 des cas d’ascites néphrogéniques par dialyse péritonéale intermittente ou par dialyse péritonéale continue ambulatoire, avec succès dans les sept cas où ils ont essayé cette technique. Ils ont observé au début de la dialyse une fuite protidique accrue avec une aggravation de l’hypoprotidémie, mais ce phénomène semble se limiter de lui-même [61]. Ainsi dans la série de Rubin [131] les pertes protidiques en dialyse péritonéale continue ambulatoire ne sont que de 7 à 8 grammes par jour alors que l’ascite était initialement très riche en protéines ce qui entraînait des pertes quotidiennes de 16 à 40 g de protéines par la technique des ponctions d’ascite itératives.
Mactier et Khanna ont bien établi que la résorption lymphatique en dialyse péritonéale était à l'origine non seulement d'une perte d'ultrafiltration nette de 18 % [95,97] mais aussi d'une diminution du transfert de masse des solutés d'origine convective amputant de 13 à 14% les clairances de l’urée et de la créatinine chez des patients ayant une perméabilité péritonéale normale [95,97]. D’après ces auteurs, une réduction du drainage lymphatique permettrait soit d’accroître l’efficacité des échanges de longue durée en dialyse péritonéale par l’augmentation de l’ultrafiltration et de l’épuration des substances dissoutes, soit de diminuer l’osmolarité des solutions de dialyse habituellement employées [97]. Ces considérations théoriques rejoignent totalement nos constatations cliniques de patients ayant à la fois une bonne ultrafiltration et une bonne qualité de dialyse sans avoir besoin de solutions de dialysat hypertoniques.
En corollaire de ces observations nous proposons l’hypothèse qu'une augmentation paradoxale de l'ultrafiltration et des clairances péritonéales chez le cirrhotique soit reliée aux perturbations de drainage de la lymphe hépatique retentissant directement sur le compartiment intrapéritonéal.

Qualité de la dialyse

Ainsi que nous venons de le voir, les échanges péritonéaux chez nos patients ascitiques se font de façon parfaitement satisfaisante. En conséquence la qualité de la dialyse est également tout-à-fait satisfaisante. Les clairances totales hebdomadaires de la créatinine vont de 51 à 92 l/1,73 m2 et celles de l’urée de 51 à 94l/1,73 m2, soit des niveaux équivalents à ceux des patients dialysés habituellement. Même à long terme (13 ans de recul pour notre patient le plus ancien), les clairances péritonéales n’ont pas changé significativement. La qualité de la dialyse est également soulignée à long terme par la stabilité de la créatininémie et de l’urée sanguine, ainsi que par la stabilité de l’hémoglobine, révélatrice du bon équilibre métabolique et nutritionnel de nos patients. Les patients de la série de Marcus ont également tous conservé un hématocrite stable aux alentours de 30 % sans nécessiter de transfusion [101]. Il est de plus intéressant de souligner que ces excellents résultats sont obtenus en dialysant nos patients avec 4 échanges quotidiens de 2 litres de soluté isotonique à 1,36 % de glucose (et même 3 échanges seulement pour les patients n° 2, 4 et 5, cette dernière conservant une diurèse résiduelle, ce qui peut expliquer des clairances de l’urée et de la créatinine inférieures à celles des autres patients en ce qui concerne les résultats de la dialyse seule). Cette possibilité est offerte par le profil particulier en dialyse de nos malades dont le péritoine hyperperméable permet ces échanges particulièrement efficaces tout en conservant paradoxalement une capacité importante d’ultrafiltration de l’eau.
Un résultat intéressant est fourni par l’article de Segaert [139] qui compare les résultats obtenus en hémodialyse puis en dialyse péritonéale chez sa patiente. Il note une diminution de l’urée sanguine de plus de 50 % (de 30 ± 3,8 mmol/l à 14,5 ± 3 mmol/l) malgré une diminution des clairances hebdomadaires mesurées de l’urée de 40 % par rapport à celles précédemment mesurées en hémodialyse.
Dans son article, Mactier [96] fait état d’un bon contrôle de la balance hydrique et de l’insuffisance rénale, sans plus de précisions.
Dans la série de Marcus [101] quatre patients ont eu au moins un test d’équilibration. Les D/P de l’urée à 3 heures s’échelonnent de 78 à 91 % (la moyenne obtenue dans le service de Marcus en dialyse péritonéale étant de 81± 8 %). L’urée sanguine est comprise entre 6,66 et 11,6 mmol/l pour 8 de ces 9 patients, et entre 13,3 et 15,8 mmol/l pour le dernier. Les KT/V hebdomadaires de l’urée vont de 0,9 à 2,7 (soit 1,51±0,58), ce qui correspond d’après Marcus à des clairances relativement peu élevées. Il précise cependant que ces résultats ont été obtenus avant qu’il n’utilise dans son service les tests dynamiques pour optimiser les prescriptions en dialyse. Les patients étant cliniquement et biologiquement dialysés de façon adéquate malgré ces faibles clairances, les paramètres de leur dialyse n’ont pas été changés par la suite.
Les faibles clairances relevées dans les séries des années 1960 et 1970 et mise en avant parmi les causes d’échec de la dialyse doivent probablement être rapportées au fait que la technique utilisée à l’époque était la dialyse péritonéale intermittente, dont l’efficacité est nettement inférieure à celle de la dialyse péritonéale continue ambulatoire du fait du moindre temps de contact péritonéal avec le dialysat, et donc de dialyse proprement dite [155].

Avantages de la dialyse péritonéale

La dialyse péritonéale n’est, il est bon de le rappeler, qu’un traitement purement substitutif. Son but, pour nos patients comme pour les patients chez lesquels elle est plus communément employée, est de compenser la défaillance de la fonction rénale et d’épurer l’organisme des déchets métaboliques et de l’eau en excès. Nous avons vu que les résultats étaient satisfaisants de ce point de vue. Quels sont maintenant les avantages que l’on peut attendre de la dialyse péritonéale par rapport à l’autre grande technique d’épuration extra-rénale qu’est l’hémodialyse? Chez nos patients, ils consistent principalement en une épuration et en une ultrafiltration lentes et continues, n’entraînant donc pas de problème tensionnel [101]. Il est vrai cependant qu’en reprenant les séries les plus anciennes et plus particulièrement celle de Wilkinson et al. [162] on observe quelques cas d’hypotension importante en rapport avec la dialyse péritonéale, mais beaucoup moins souvent qu’en hémodialyse. Ce type de difficulté n’est d’ailleurs jamais mentionné dans les séries plus récentes. Le maître mot en dialyse péritonéale est “équilibre”: pas de changement des volumes intra- ou extra-cellulaires, ni de leur composition; respect de la pression artérielle, du pH, de la natrémie, de la kaliémie, de la chlorémie, de la calcémie [139]. De plus cette technique permet un assèchement de l’ascite par une mobilisation directe et évite l’emploi des anticoagulants [101]. Elle ne nécessite pas un centre spécialisé ni un matériel coûteux, et peut être entreprise dans tout service de médecine spécialisée, si les praticiens et le personnel soignant sont formés à la technique, évitant ainsi d’avoir à exposer un patient fragile aux risques et aux délais d’un transfert vers un hôpital régional [96]. D’un point de vue théorique, comme la membrane péritonéale est perméable aux molécules jusqu’à 6 000 Daltons, la dialyse péritonéale permet d’épurer l’organisme des toxines impliquées dans le coma hépatique en cas d’insuffisances hépatique et rénale conjuguées (l’ammoniac, le méthylmercaptane, la bilirubine, les acides gras libres) [94,96]. Les clairances hebdomadaires de ces molécules sont jusqu’à six fois plus importantes en dialyse péritonéale continue ambulatoire qu’en hémodialyse [116]. La dialyse péritonéale intermittente est considérée comme le traitement de choix pour le traitement du coma hyperammoniémique causé par les anomalies congénitales de la synthèse de l’urée [13,96]. Même l’apport massif de glucose, par certains côtés, peut être un avantage: il n’existe pas, contrairement à ce qu’on observe en hémodialyse, de risque d’hypoglycémie; il semblerait également que cet apport glucidique aurait un certain effet régulateur et freinateur sur l’appétit, rendant ainsi beaucoup plus faciles les prescriptions diététiques relatives à l’insuffisance rénale [139].


Chapitre suivant
Table des matières