Pathologie rénale chez le cirrhotique



Insuffisance rénale et hépatopathie sévère s'associent de façon non exceptionnelle dans un ensemble de pathologies longtemps regroupées en une entité nosologique de pronostic très sombre, le syndrome hépatorénal. Ce syndrome était considéré comme une sorte de regroupement générique de l'ensemble des situations cliniques associant une atteinte rénale à une hépatopathie évolutive sévère. Cependant, les progrès de la néphrologie clinique et expérimentale et les apports récents de l'immunopathologie ont conduit à de nouvelles définitions des différents mécanismes lésionnels à l'origine des altérations de la fonction rénale au cours des hépatopathies et notamment de la cirrhose, et à un éclatement de l’ensemble des pathologies autrefois regroupées sous ce terme de syndrome hépatorénal. Certains auteurs pensent même que cette dénomination, trop vague et passablement ambiguë, devrait ne plus être actuellement employée [8].

On différencie actuellement, de façon schématique et non totalement satisfaisante, trois principales causes plus spécifiques d'insuffisance rénale chez le cirrhotique (cf tableau 1), en plus des causes plus générales et non liées au terrain :
- l'insuffisance rénale fonctionnelle et le syndrome hépatorénal en tant que tel, qu’on peut en fait rattacher à l'insuffisance rénale fonctionnelle;
- la néphrite aiguë tubulo-interstitielle;
- l’insuffisance rénale par glomérulonéphrite.

Insuffisance rénale fonctionnelle

Sa fréquence est très élevée, puisque 50% environ des malades cirrhotiques présentent une insuffisance rénale fonctionnelle avant de mourir et que 17% des patients cirrhotiques d’un hôpital général ont, à un degré divers, une insuffisance rénale fonctionnelle [11]. Les principales caractéristiques sont l’oligurie, parfois même une oligo-anurie inférieure à 500 ml/ 24 heures, l’hyperazotémie, l’hyponatrémie de dilution, une très faible natriurèse, une hyperkaliémie dans la moitié des cas, un sédiment urinaire normal avec une protéinurie faible ou nulle, une osmolarité urinaire supérieure à l’osmolarité plasmatique et une concentration urinaire de b2-microglobuline inférieure à 1000 mg/l [11]. L’insuffisance rénale fonctionnelle survient généralement quand existent déjà des signes cliniques et biologiques d’insuffisance hépato-cellulaire avancée [11]. Sa probabilité de survenue est de 32 % à 2 ans et de 41 % à 5 ans après l’apparition de l’ascite [9,59].

 

Incidence

Diurèse

PA

Sédiment urinaire

Protéinurie

IRF - progressive (SHR)

20-50%

Basse

Basse

Normal

Nulle

- stable

20-50%

Basse

Basse

Normal

Nulle

- due aux AINS

20-50%

Basse

Basse

Normal

Nulle

- due aux diurétiques

25%

Élevée

Basse

Normal

Nulle

NTIA

?

Basse

Basse

Pathologique

Positive

Glomérulonéphrite à IgA

?

Variable

Haute

Pathologique

Positive

 

FG

Na U

U/P

ß2-M

Pronostic

IRF - progressive (SHR)

Basse

< 10

> 1

Normale

Grave

- stable

Basse

< 10

> 1

Normale

Bon à court terme

- due aux AINS

Basse

< 10

> 1

Normale

Bon

- due aux diurétiques

Basse

> 20

 

Normale

Bon

NTIA

Basse

> 20

< 1

Haute

Grave

Glomérulonéphrite à IgA

Basse

> 20

 

?

Grave


IRF: Insuffisance rénale fonctionnelle FG : Filtration glomérulaire PA : Pression artérielle ß2-M : Bêta 2 microglobuline NaU : Natriurèse SHR : Syndrome hépatorénal AINS : Anti-inflammatoire non-stéroïdiens IgA : Immunoglobuline A U/P : osmolarité urinaire/osmolarité plasmatique NTIA : Néphropathie tubulo-interstitielle aiguë
Tableau 1 : Types d’insuffisance rénale dans la cirrhose du foie avec ascite d’après Arroyo et Rodès [11] et Epstein [40]



L’évolution de l’insuffisance rénale fonctionnelle est très variable. L’insuffisance rénale fonctionnelle progressive (ou syndrome hépatorénal) est plus souvent observée dans le cadre des cirrhoses éthyliques au décours d’une complication aiguë telle qu’une hépatite alcoolique, une infection bactérienne, une hémorragie gastro-intestinale ou une intervention chirurgicale. Sa survenue chez un patient cirrhotique est de très mauvais pronostic et la plupart de ces patients meurent dans les jours ou les semaines qui suivent, quelle que soit la thérapeutique employée (hémodialyse, shunt péritonéo-veineux, échanges plasmatiques). Le décès résulte de la combinaison des insuffisances hépatique et rénale et du facteur déclenchant (anurie, encéphalopathie hépatique, hémorragie digestive, hyperkaliémie…) [9,155]. Cette pathologie et sa physiopathologie restent l’objet à l’heure actuelle de nombreuses discussions, et nous allons y revenir plus longuement un peu plus loin.
Dans d’autres cas, l’insuffisance rénale fonctionnelle demeure stable pendant de longues périodes. Dans ce cas, le traitement de l’ascite est difficile et exige généralement des doses élevées de diurétiques ainsi que des périodes d’hospitalisation longues et fréquentes. Cette situation clinique correspond à l’ascite rebelle [11].

Rôle des anti-inflammatoires non-stéroïdiens

L’inhibition de la synthèse des prostaglandines par l’administration de médicaments anti-inflammatoires non-stéroïdiens à des malades cirrhotiques ascitiques provoque l’abaissement du débit sanguin rénal et l’apparition d’une insuffisance rénale fonctionnelle heureusement de bon pronostic car réversible dès l’arrêt du traitement. L’emploi d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens est donc contre-indiqué chez ces malades. De plus, ils s’opposent à l’effet diurétique du furosémide (qui augmente la filtration glomérulaire par augmentation de la synthèse rénale de prostaglandine E). L’association d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens et de furosémide provoque une réduction de la synthèse rénale de prostaglandines et donc une diminution de la filtration glomérulaire et de la diurèse [11].
L’indométacine est un des plus puissants des inhibiteurs des prostaglandines; expérimentalement 50 mg d’indométacine toutes les 8 heures suffisent à supprimer la filtration glomérulaire de la majorité des patients cirrhotiques ascitiques, reproduisant expérimentalement un tableau similaire à celui du syndrome hépatorénal avec les mêmes caractéristiques cliniques et biologiques, si ce n’est que l’insuffisance rénale due aux anti-inflammatoires non-stéroïdiens est réversible à l’arrêt de ceux-ci [169].

Rôle des diurétiques

Approximativement 25% des malades atteints d’ascite présentent une insuffisance rénale lorsqu’ils sont traités par des diurétiques [11,40]. Les principales caractéristiques de cette insuffisance rénale sont l’augmentation des concentrations plasmatiques en urée et en créatinine, conséquence d’une réduction considérable de la filtration glomérulaire pendant le traitement diurétique ; cliniquement le patient maigrit, et on observe une natriurèse et une diurèse élevées. Cette insuffisance rénale n’évolue pas vers une véritable insuffisance rénale autonome de pronostic grave, et la fonction rénale se normalise si l’on supprime d’une façon précoce le traitement diurétique [11].
La physiopathologie de ce trouble est en rapport avec les variations des différents compartiments liquidiens de l’organisme quand on utilise les diurétiques. Il existe une lente fuite hydrosodée aux dépens du volume plasmatique circulant, compensée par le passage équivalent de liquide et d’ions de l’ascite vers le compartiment vasculaire. Tout retard dans la réabsorption de l’ascite peut donc provoquer une réduction du volume plasmatique, qui, si elle est importante, détermine à son tour une réduction du débit sanguin rénal et de la filtration glomérulaire. L’insuffisance rénale due aux diurétiques survient très facilement, car la réabsorption de l’ascite s’effectue à une vitesse limitée, probablement du fait des gradients physiques favorisant un flux péritonéal [140]. La réabsorption de l’ascite pendant le traitement diurétique dépend des facteurs intervenant dans l’équilibre de Starling, en particulier la pression portale et la concentration de protéines dans le liquide ascitique. L’incidence de l’insuffisance rénale induite par les diurétiques est d’autant plus importante que la pression portale et la concentration en protéines dans l’ascite sont élevées [11].
Le traitement de ce type d’insuffisance rénale est très simple: il consiste à supprimer les diurétiques jusqu’à ce que la fonction rénale se normalise.

Syndrome hépatorénal

Il s’agit d’une insuffisance rénale aiguë oligo-anurique progressive compliquant une hépatopathie dont aucune cause spécifique n’a pu être mise en évidence [87]. Ce terme continue donc à être utilisé par de nombreux auteurs pour désigner la survenue d’une insuffisance rénale inexpliquée chez un patient porteur d’une hépatopathie en l’absence de preuve clinique, biologique ou anatomique d’une cause identifiable, et c’est pourquoi nous allons développer ce chapitre, même si la différenciation entre le syndrome hépatorénal et l’insuffisance rénale fonctionnelle est souvent difficile [87]. Il ne faut surtout pas, par facilité, étiqueter toutes les insuffisances rénales survenant chez des cirrhotiques ‘syndrome hépatorénal’ sans avoir discuté ce diagnostic [3,40].
Les caractères essentiels du syndrome hépatorénal ont été décrits en premier par A. Flint [51] dès 1863 dans une remarquable étude sur la cirrhose et l’ascite. La revue de la littérature faite par Epstein [40] révèle une grande variabilité dans la clinique et l’évolution du syndrome hépatorénal. Cependant on peut dégager un certain nombre de facteurs cliniques et biologiques communs [3,40,87] :
- le syndrome hépatorénal ne se démasque habituellement qu’en cours d’hospitalisation, alors que bien souvent le motif d’hospitalisation est totalement différent;
- il n’existe apparemment pas de facteur déclenchant, et en tout cas pas de facteur déclenchant spécifique;
- l’insuffisance rénale apparaît habituellement chez des patients dont l’ascite est modérée à importante;
- il n’existe pas de lien net avec l’ictère;
- on retrouve un certain degré d’encéphalopathie chez de nombreux patients;
- la pression sanguine est souvent basse chez ce type de patients;
- on note une oligurie, et une natriurèse quasiment nulle; une hyponatrémie est fréquemment retrouvée;
- les constantes urinaires sont les mêmes que celles de l’insuffisance rénale fonctionnelle et contrastent avec celles de la néphrite tubulo-interstitielle aiguë;
- la guérison spontanée est rare, et le pronostic catastrophique.
La différence essentielle entre le syndrome hépatorénal et l’insuffisance rénale fonctionnelle réside dans le fait que les tentatives d’expansion volémique ne réussissent pas à inverser l’évolution du syndrome [3]. Cette constatation rend pratiquement indispensable la mesure de la pression veineuse centrale pour affirmer le diagnostic de syndrome hépatorénal, de façon à perfuser les patients dont la pression veineuse centrale basse donne à penser qu’il s’agit d’une insuffisance rénale fonctionnelle et de tenter ainsi de relancer la diurèse et la fonction rénale, et au contraire à ne pas surcharger inutilement en liquide ceux chez qui une pression veineuse centrale déjà élevée montre à l’évidence que tout apport supplémentaire ne peut qu’aggraver les choses [40,135]. Ces notions sont résumées dans le tableau suivant:


 

Pression capillaire pulmonaire bloquée

Résistances vasculaires systémiques

Débit cardiaque

I.R.F.

Abaissée

Augmentées

Abaissé

Sepsis à G-

Abaissée

Abaissées

Augmenté

NTIA

Normale ou Augmentée

Normales

Normal

SHR

Abaissée

Abaissées

Augmenté


I.R.F.: Insuffisance rénale fonctionnelle G-: Germe Gram négatif NTIA: Néphrite tubulo-interstitielle aiguë SHR: Syndrome hépatorénal
Tableau 2: Hémodynamique de l’insuffisance rénale chez le cirrhotique. D’après Schelling et Linas [135]

La constatation que le syndrome hépatorénal et un sepsis à germe Gram négatif entraînent des manifestations hémodynamiques identiques a amené certains auteurs à soutenir l’hypothèse du rôle des endotoxines dans la genèse du syndrome hépatorénal [135,161].
Ces distinctions sont toutefois quelque peu artificielles. L’importante altération des forces de Starling au niveau portal rend en effet le remplissage vasculaire difficile, les apports liquidiens se retrouvant rapidement dans la cavité péritonéale. L’augmentation du volume sanguin circulant par les tentatives de remplissage vasculaire n’est donc que très provisoire [87].
De plus, il faut garder à l’esprit que, si utiles que soient l’étude et la surveillance des pressions et des volumes dans ces situations difficiles, la mise en place d’un cathéter central n’est pas dénuée de risque dans ces conditions, et qu’une transfusion de plaquettes et/ou de plasma frais congelé peut s’avérer nécessaire [135].
Le syndrome hépatorénal complique habituellement les cirrhoses alcooliques, mais peut également se voir dans toutes les autres hépatopathies graves, telles que les hépatites virales, les cirrhoses biliaires primitives, les hépatites fulminantes, les stéatoses gravidiques ou les résections hépatiques [135]. L’insuffisance rénale s’aggrave souvent très rapidement, même chez des patients dont la créatininémie était normale auparavant. Cependant Papadekis et Arieff [111] ont récemment suggéré que la créatininémie n’était que peu représentative de la fonction rénale chez les patients insuffisants hépatiques, et que des taux normaux pouvaient en fait masquer une filtration glomérulaire déjà diminuée. De même, leurs travaux mettent en évidence qu’une très faible augmentation de la créatininémie peut traduire en fait une chute considérable de la clairance de la créatininémie [111]. La seule mesure valable de la fonction rénale serait donc celle de la clairance de la créatinine et non celle de la créatininémie [111], avec cependant la restriction que même la clairance de la créatinine peut surestimer la filtration glomérulaire réelle en cas d’insuffisance rénale avancée, du fait de la sécrétion de cette substance dans le tubule proximal [87]. Il faut également savoir que des interférences peuvent se produire entre les dosages de le créatininémie et ceux de la bilirubinémie, ce qui doit faire considérer l’interprétation des variations de la créatininémie avec beaucoup de prudence en cas d’hyperbilirubinémie [69,106]. En se basant sur ces constatations, Amend suggère que tous les patients cirrhotiques ont un certain degré de vasoconstriction rénale permanente, et sépare schématiquement les patients en trois groupes: ceux chez qui cette vasoconstriction reste stable et qui n’évoluent pas vers l’insuffisance rénale; ceux chez qui elle progresse lentement, aboutissant à une insuffisance rénale lente; ceux enfin chez qui elle augmente brutalement, éventuellement de façon concomitante à un autre événement pathologique, aboutissant à un syndrome hépatorénal. Cette vasoconstriction rénale permanente rendrait de plus les cirrhotiques particulièrement sensibles à la néphrotoxicité de substances telles que les aminosides ou les anti-inflammatoires non-stéroïdiens [3].
La survenue d’une insuffisance rénale au cours de l’évolution de la cirrhose de Laënnec a un sombre pronostic. La majorité des patients meurent dans les trois semaines qui suivent l’apparition de l’insuffisance rénale. Selon les séries, Epstein a retrouvé de 1 à 13% de guérisons spontanées [40,112]. Dans la plupart des cas documentés, cette guérison survient à la suite d’une amélioration importante de la fonction hépatique. Il est cependant difficile de relier directement le décès à l’insuffisance rénale chez de nombreux patient chez lesquels l’insuffisance rénale est relativement modérée (taux de créatininémie et d’urée sanguine compris respectivement entre 350 et 700 µmol/l et 8 et 15 mmol/l). De telles observations suggèrent que l’insuffisance rénale n’est que le reflet d’un événement létal plus général et non le déterminant majeur du pronostic [40].
De nombreux faits militent en faveur du concept que l’insuffisance rénale du syndrome hépatorénal est de nature fonctionnelle et secondaire à l’hépatopathie sous-jacente. En dépit du trouble important de la fonction rénale, les anomalies organiques sont minimes et inconstantes [41,112,141]. De plus, l’intégrité fonctionnelle tubulaire est maintenue pendant la défaillance rénale, ce dont témoignent une capacité de réabsorption du sodium et une possibilité de concentration des urines relativement intactes, avec en particulier une natriurèse inférieure à 10 mEq/l et une osmolalité urinaire supérieure de plus de 100 mOsmol/l à l’osmolalité plasmatique [40]. Les deux éléments expérimentaux les plus démonstratifs sont que les insuffisants rénaux à qui l’on greffe un rein provenant d’un patient souffrant de syndrome hépatorénal retrouvent une fonction rénale normale [82] et que les patients souffrant de syndrome hépatorénal à qui l’on greffe un foie sain retrouvent également une fonction rénale normale [63,64,74].
Cependant, la pathogénie exacte du syndrome hépatorénal reste obscure. De nombreuses études déjà anciennes ont mis en évidence une baisse significative de la perfusion rénale [46,138]. Epstein a également démontré que cette baisse de la perfusion s’établissait principalement aux dépens de la perfusion corticale [46]. Cependant ce fait ne peut expliquer à lui seul l’oligurie puisqu’une telle hypoperfusion rénale reste compatible avec la production de plus d’un litre d’urine par jour. Les patients cirrhotiques manifestent également lors des études hémodynamiques une grande instabilité vasomotrice qu’on ne retrouve pas dans l’insuffisance rénale en dehors du syndrome hépatorénal [46]. L’étude par angiographie rénale sélective révèle un aspect net en chapelet et des sinuosités des artères interlobaires et de l’arcade exorénale, ainsi qu’une absence de néphrogramme distinct ou de remplissage des vaisseaux corticaux. Des angiographies de contrôle effectuées post-mortem chez les mêmes patients montrent une normalisation de toutes ces anomalies vasculaires avec un remplissage complet de la vascularisation périphérique et la disparition des irrégularités notées précédemment sur les vaisseaux qui sont à nouveau lisses et réguliers [46]. Ces anomalies ont été confirmées par les études au Doppler du lit artériel rénal en cas de syndrome hépatorénal [3]. Ces éléments militent en faveur du caractère fonctionnel de l’insuffisance rénale, avec probablement l’action d’une vasoconstriction rénale active [46]. Cependant, d’autres études menées chez des patients ascitiques mais dont la fonction rénale est à-peu-près conservée ont montré que ceux-ci ont des flux sanguins comparables à ceux de nombreux sujets avec un syndrome hépatorénal [126,161], ce qui laisse penser que d’autres facteurs entrent sûrement en jeu pour moduler la filtration glomérulaire. Il faut probablement également impliquer les cellules mésangiales qui ont des propriétés similaires à celles des muscles lisses. Ces cellules font saillie dans le bouquet capillaire glomérulaire et se contractent sous l’action de nombreux médiateurs. Les cellules mésangiales semblent réguler de façon dynamique la surface utilisable pour l’ultrafiltration, et par conséquent le coefficient d’ultrafiltration [46,126].
Bien qu’on ait ainsi montré que l’hypoperfusion rénale avec une ischémie corticale préférentielle sous-tend l’insuffisance rénale du syndrome hépatorénal [46,79], les facteurs responsables de cette réduction de la perfusion corticale et de la diminution de la filtration n’ont pas été élucidés. Epstein et al. ont établi qu’elle est indépendante du débit cardiaque, puisque chez 20 patients ayant une cirrhose éthylique évoluée et une perfusion rénale basse le débit cardiaque est élevé dans 10 cas, normal dans 7 cas et bas dans 3 cas [47].
Le débit sanguin rénal dépend des résistances vasculaires rénales et de la pression de perfusion rénale. De nombreux patients en décompensation hépatique ont une pression artérielle moyenne modérément basse, et une pression veineuse rénale augmentée. De plus, l’insuffisance hépatique est caractérisée par une augmentation du tonus sympathique qui semble déplacer le phénomène d’autorégulation si bien que le débit sanguin rénal est plus dépendant de la pression de perfusion rénale. En conséquence, on peut penser que même les patients qui ne présentent qu’une modeste diminution de cette pression de perfusion rénale peuvent avoir une chute significative de leur débit sanguin rénal [161].
De nombreuses recherches sont focalisées sur l’identification de l’augmentation de la production de médiateurs plus spécifiquement actifs sur la vasoconstriction rénale. De façon intéressante, beaucoup de ces médiateurs agissent également sur les cellules mésangiales, provoquant la contraction des cellules musculaires lisses, et peuvent donc peut-être moduler ainsi le débit sanguin rénal non seulement à travers leur action sur les artérioles, mais aussi sur le lit capillaire du glomérule [161]. Comme l’excrétion urinaire de prostaglandines est considérablement diminuée chez ces patients [10,169], il est tentant de penser que l’insuffisance rénale fonctionnelle associée à l’extrême sous-remplissage vasculaire apparaît comme une conséquence du déséquilibre entre l’activité des systèmes endogènes vasoconstricteurs et la synthèse rénale de prostaglandines vasodilatatrices [9]. Ces hypothèses sont soutenues par des travaux expérimentaux démontrant que le débit sanguin rénal est fortement augmenté par l’injection intrarénale de prostaglandines et que l’administration de Thromboxane A2 entraîne au contraire une contraction mésangiale et glomérulaire. Les mesures montrent également une augmentation nette de la sécrétion urinaire de Thromboxane B2 (métabolite du Thromboxane A2) et une diminution de celle de Prostaglandine E2 en cas de syndrome hépatorénal [170]. De plus, comme nous l’avons déjà signalé, l’administration d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens provoque chez les patients cirrhotiques un tableau clinique proche de celui du syndrome hépatorénal. Habituellement, la production de prostaglandines est augmentée en cas d’hépatopathie notamment cirrhotique, de façon à maintenir la perfusion rénale et l’excrétion hydrosodée. Cependant, il reste à démontrer que la défaillance possible de la production de prostaglandines est bien en relation avec la survenue du syndrome hépatorénal [169]. Certains ont repris cette hypothèse en estimant que le déséquilibre dans la sécrétion et le fonctionnement des prostaglandines ne serait que le reflet d’un niveau exagéré d’endotoxines circulantes, dû d’une part à la faillite du système réticulo-endothélial hépatique à épurer l’organisme de ces toxines, et d’autre part à l’existence de shunts porto-caves augmentant leur passage dans la circulation systémique. Ces endotoxines entraîneraient une surproduction de leucotriènes et de substances vasoconstrictrices aux dépens de la production des substances vasodilatatrices [161]. Cependant, quand la présence d’endotoxines est associée à une insuffisance rénale aiguë, il s’agit beaucoup plus souvent d’une nécrose tubulaire aiguë que d’un syndrome hépatorénal [87]. De plus, on voit mal dans ces conditions comment la mise en place d’un shunt péritonéo-veineux pourrait améliorer la fonction rénale, ce dispositif n’étant pas censé réduire le passage des endotoxines d’origine gastro-intestinale vers la circulation systémique [87].
Il est généralement admis que des niveaux élevés d’angiotensine II jouent un rôle important dans le maintien d’une pression artérielle normale chez les cirrhotiques. Son rôle dans la pathogénie du syndrome hépatorénal est par contre loin d’être clair [87]. En particulier, il n’est pas évident que l’augmentation de la production de rénine observée dans le syndrome hépatorénal soit la cause et non la conséquence de la vasoconstriction rénale, et que les taux élevés d’angiotensine II aient quelque chose à voir avec cette vasoconstriction [87]. Il semble en fait que les patients qui ont une cirrhose évoluée aient une sensibilité diminuée à l’action de l’angiotensine [47]. En particulier, la localisation préférentielle de la vasoconstriction au cours du syndrome hépatorénal se situe au niveau des artérioles interlobulaires et arquées, sur lesquelles l’angiotensine n’a que peu d’action [46].
La proposition la plus récente pour expliquer la vasoconstriction rénale est l’hypothèse de la vasodilatation de Schrier et al. [136], qui suggère que la vasodilatation systémique est le facteur initial de la rétention hydrosodée au cours de la cirrhose décompensée avec ascite. Dans sa forme extrême, cela se traduirait par une réduction du volume sanguin artériel efficace avec une hypotension modérée. La cause de cette vasodilatation systémique est inconnue. La vasodilatation systémique activerait les systèmes d’homéostasie, entraînant une augmentation des concentrations plasmatiques de rénine, d’aldostérone, de noradrénaline et de vasopressine, ce qui provoquerait la rétention sodée et la vasoconstriction rénale. Les manœuvres qui entraînent une expansion du volume plasmatique, telles que l’immersion ou la perfusion de plasma, entraînent une petite augmentation transitoire du débit sanguin rénal et de la filtration glomérulaire, mais cet effet se trouve rapidement annulé par la redistribution des fluides ou une exagération de la vasodilatation [136,161].
Enfin, on a postulé l’existence de “faux neurotransmetteurs”. Il pourrait s’agir des déchets terminaux du métabolisme, en particulier azoté, non épurés par le foie en raison de l’insuffisance hépato-cellulaire, et ayant un impact cérébral et rénal. Les effets vasoconstricteurs supposés de ces faux neurotransmetteurs pourraient expliquer une augmentation secondaire des taux de rénine, d’angiotensine II et d’aldostérone [3].
La conception actuelle de la physiopathologie du syndrome hépatorénal est qu’il s’agit d’un état multifactoriel dû à la baisse du débit sanguin rénal et à la diminution du coefficient d’ultrafiltration, peut-être consécutive à la contraction des cellules mésangiales. La baisse du débit sanguin rénal est causée par une diminution même modeste de la perfusion rénale en raison de la vasodilatation systémique, de l’augmentation de la pression veineuse rénale et de la vasoconstriction artériolaire rénale. Ces phénomènes sont probablement exagérés par une activité sympathique augmentée. La combinaison de l’augmentation des résistances réno-vasculaires, de la contraction des cellules mésangiales induite par les endotoxines et la production anormale de prostaglandines et de l’activité sympathique augmentée aboutit à un tableau d’insuffisance rénale fonctionnelle irréversible, connu sous la dénomination de syndrome hépatorénal [161].


Néphrite tubulo-interstitielle aiguë

L’existence de cette entité plus ou moins spécifique qu’est le syndrome hépatorénal ne doit pas occulter le fait que les patients cirrhotiques sont au moins aussi vulnérables que les autres au développement d’une néphrite tubulo-interstitielle aiguë. En fait, le diagnostic de néphrite tubulo-interstitielle aiguë est plus fréquent en cas d’insuffisance rénale chez le cirrhotique que celui de syndrome hépatorénal [40,41,112].
La nécrose tubulaire aiguë est la lésion rénale la plus fréquemment en cause en cas d’insuffisance rénale aiguë. Il existe deux grands groupes de mécanismes : soit il existe un processus de toxicité directe sur le tubule rénal, soit une ischémie rénale par hypotension ou hypovolémie.
Les caractéristiques de l’insuffisance rénale aiguë sont les suivantes : oligoanurie, pouvant entraîner une surcharge progressive du volume extra-cellulaire (prise de poids, œdèmes, dyspnée …), élévation de l’urée sanguine, de la créatininémie et de la kaliémie, et excrétion fractionnelle du sodium supérieure à 2 %. La concentration urinaire d’urée et de créatinine est très faible, tandis que l’excrétion fractionnelle de la b2-microglobuline est très élevée. On retrouve dans les urines des cylindres et des protéines du fait de la desquamation des cellules nécrosées. Au cours des cirrhoses, il est fréquent de constater une note glomérulaire avec une micro-hématurie ou une protéinurie supérieure à 1 g/l [11]. On a même observé des cas d’insuffisance rénale aiguë associés à une hématurie macroscopique, alors que la biopsie rénale montrait des lésions typiques de nécrose tubulaire aiguë [119]. Dans certains cas, on peut observer une insuffisance rénale aiguë à diurèse conservée. Le pronostic est variable et dépend fondamentalement du facteur initial causal, de la précocité du traitement et de la récupération fonctionnelle du rein. Le traitement est l’épuration extra-rénale à titre symptomatique, en attendant la récupération rénale [11].
Les études morphologiques, tant en microscopie optique qu’en microscopie électronique, montrent une desquamation des cellules tubulaires, un phénomène de régénération tubulaire avec des anomalies de taille et de forme, une dilatation tubulaire due à l’augmentation de la pression intratubulaire secondaire à l’obstruction par les débris nécrotiques et un œdème interstitiel corrélé à l’importance de la dilatation tubulaire. Ces études retrouvent également de façon constante une accumulation de leucocytes dans les vasa recta de la médullaire rénale, ce qui semble être une caractéristique de cette pathologie [145].
Il semble exister un lien entre l’ictère cholestatique et la néphrite tubulo-interstitielle aiguë [40]. Il y a plus de 20 ans, Dawson [31] notait déjà que la fréquence de néphrite tubulo-interstitielle aiguë était bien plus importante dans un groupe de patients ayant subi une intervention chirurgicale pour ictère cholestatique que dans un groupe comparable de patients anictériques. Il a depuis été confirmé que le risque de néphrite tubulo-interstitielle aiguë était proportionnel à l’importance de l’ictère [14].
Quatre mécanismes sont probablement impliqués dans la survenue d’une insuffisance rénale lors d’une nécrose tubulaire aiguë : la fuite du filtrat glomérulaire hors du tubule ou rétrodiffusion, l’obstruction tubulaire, la vasoconstriction des artérioles afférentes et la diminution de la filtration glomérulaire.
La rétrodiffusion du filtrat glomérulaire semble être un facteur important. On a constaté, aux endroits de la membrane tubulaire où des cellules manquent et où il existe des fractures de la membrane basale, l’existence de fuites du liquide tubulaire vers l’interstitium. Les zones de non-récupération cellulaire sont très peu importantes après la récupération fonctionnelle rénale, alors que la plupart des autres lésions anatomiques impliquées lors d’une néphropathie tubulo-interstitielle aiguë persistent au-delà de la période de récupération, ce qui suggère que le phénomène de fuite est fonctionnellement important. Certains chercheurs ont mis en évidence une corrélation entre l’œdème interstitiel et la dilatation tubulaire. Cependant l’étude des clairances du dextran montre que la fuite de liquide tubulaire vers l’interstitium représente au plus 20% de la réduction de la filtration rénale [145].
La rétrodiffusion du filtrat glomérulaire et l’obstruction tubulaire sont deux phénomènes intriqués. L’augmentation de la pression intratubulaire, due à l’obstruction par des cylindres et des débris, entraîne la fuite du filtrat glomérulaire et parfois même une rupture tubulaire. Cependant, si la fuite est importante, la pression intratubulaire baisse à nouveau, et ne peut donc pas atteindre un niveau permettant l’expulsion des cylindres et des débris obstruant le tubule. L’obstruction tubulaire est donc un phénomène auto-entretenu; en effet la stase induite par ce phénomène entraîne une agrégation des protéines de Tamm-Horsfall, et donc la formation de nouveaux bouchons ou l’allongement des bouchons existants [145].

Relations entre syndrome hépatorénal et néphrite tubulo-interstitielle aiguë

Les relations entre le syndrome hépatorénal et la néphrite tubulo-interstitielle aiguë ne sont pas aussi inexistantes qu’on pourrait le croire au premier abord. En théorie, l’altération de la fonction rénale dans le syndrome hépatorénal est fondamentalement différente de celle observée dans la néphrite tubulo-interstitielle aiguë. Dans la néphrite tubulo-interstitielle aiguë, la diminution de la filtration glomérulaire est beaucoup plus importante, et on considère que la diminution de la réabsorption tubulaire est le reflet du dysfonctionnement tubulaire intrinsèque. Dans le syndrome hépatorénal, la diminution de la filtration glomérulaire n’est habituellement pas aussi importante et la forte réabsorption hydrosodée au niveau tubulaire témoigne de la normalité de la fonction tubulaire intrinsèque, qui semble ainsi répondre aux stimuli extrinsèques [40].
Dans la réalité, on est souvent confronté au fait que “les patients ne lisent pas les traités de médecine”. Les tableaux cliniques auxquels le praticien se retrouve confronté sont souvent plus mitigés, avec des constantes urinaires floues qui tombent dans une sorte de zone frontière entre les deux syndromes et ne permettent pas toujours le diagnostic différentiel entre syndrome hépatorénal et néphrite tubulo-interstitielle aiguë. De plus, les patients qui survivent à un syndrome hépatorénal développent souvent une néphrite tubulo-interstitielle aiguë classique par la suite. Epstein [40] estime même que le syndrome hépatorénal et la néphrite tubulo-interstitielle aiguë ne sont que deux stades évolutifs différents d’une même pathologie.
Ces difficultés sont bien illustrées par une étude de Ring-Larsen et Palazzo [129] portant sur 80 patients cirrhotiques ou souffrant d’hépatite fulminante et hospitalisés en raison de la survenue d’un coma hépatique stade III ou IV. Parmi ces 80 patients, 48 ont développé une insuffisance rénale, dont 26 une insuffisance rénale fonctionnelle et 6 une néphrite tubulo-interstitielle aiguë. 16 patients étaient “inclassables” car les données biologiques étaient contradictoires ou insuffisantes. L’évolution a permis par la suite de retrouver parmi ces 16 patients 3 insuffisances rénales fonctionnelles et 2 néphrites tubulo-interstitielles aiguës
En terme de prise en charge, il est souvent difficile de se retrouver face à un patient dont la pathologie n’apparaît pas comme clairement définie. La seule attitude raisonnable dans ce cas est avant tout d’éliminer une cause pré-rénale à une insuffisance rénale aiguë chez un patient cirrhotique, pour éventuellement traiter cette cause si elle existe [40].

Glomérulonéphrites

Les lésions glomérulaires au décours des cirrhoses sont d’une grande fréquence et ont été relevées depuis longtemps par de nombreux auteurs [37]. Cependant, les études les plus anciennes sont entachées d’erreurs du fait d’un examen le plus souvent post-mortem, les lésions pouvant donc éventuellement être induites par une autolyse spontanée ou par les conditions de l’agonie du patient [37].
Eknoyan [37] a effectué une revue de la littérature portant sur plus de mille patients cirrhotiques ou décédés d’insuffisance hépatique depuis 1863. Les autopsies pratiquées chez ces patients retrouvent de 11,7 à 100 % de lésions glomérulaires suivant les séries, avec une moyenne de 45 %. Bloodworth et Sommer [21] ont ainsi publié en 1959 une étude portant sur cent patients cirrhotiques, chez lesquels l’autopsie a montré 78 % de lésions glomérulaires. Chez 33 de ces patients l’urée sanguine avait été mesurée avant le décès; seuls quatre patients avaient une urée supérieure à 16 mmol/l. De même, un seul patient sur 30 avait une protéinurie significative supérieure à 1 g/l. L’équipe de Berger [16] a réalisé de même cent autopsies en 1965 chez des patients cirrhotiques. Ils ont noté des lésions glomérulaires chez 68 de ces patients. Parmi ceux-ci, seuls deux avaient une protéinurie ou une hématurie avérée avant leur décès. Berger note cependant que la recherche d’anomalies urinaires n’avait peut-être pas été faite très attentivement et qu’en tout état de cause un bon nombre de ces malades avaient une fonction rénale anormale au moment de leur décès.
Depuis 1965, les études par biopsie rénale et les techniques de microscopies optique, électronique et en immunofluorescence ont permis de progresser dans la classification de ces lésions. Toutes séries confondues, on retrouve 98,5 % d’anomalies glomérulaires sur 139 malades ainsi étudiés entre 1965 et 1987 [37]. Cette importante proportion d’anomalies peut en partie être attribuée à la meilleure résolution en microscopie électronique par rapport à la microscopie optique, mais elle est surtout due au fait que ces ponction-biopsies rénales ont été effectuées le plus souvent sur des patients ayant des signes patents de dysfonctionnement glomérulaire [37].
Fischer et Perez-Stable [50] ont étudié de façon prospective 12 patients cirrhotiques. Ils ont retrouvé des lésions de glomérulonéphrite à la ponction-biopsie rénale chez 5 des 8 patients ayant une fonction rénale normale et les mêmes lésions, cependant plus prononcées, chez les 4 patients ayant un fonctionnement rénal altéré (filtration glomérulaire entre 32 et 42 ml/mn et protéinurie entre 1,3 et 5,1 g/24 h.). Berger et al. [16] ont effectué des ponctions-biopsies rénales chez 11 cirrhotiques ayant des signes de complications rénales. 10 patients avaient des lésions de glomérulonéphrite et présentaient cliniquement une protéinurie, une hématurie microscopique ou une insuffisance rénale. Une biopsie a été retrouvée normale chez un patient ayant eu une protéinurie et une hématurie microscopique, qui avaient disparu à la date de l’examen. Salomon et al. [133] ont effectués des biopsies rénales systématiques chez 24 patients ayant une hépatopathie sévère (6 hépatites virales compliquées, 3 hépatites alcooliques aiguës, 15 cirrhoses) dont 10 étaient asymptomatiques sur le plan rénal; chez 6 patients on retrouvait une protéinurie à l’état de traces; chez les 8 autres patients la protéinurie était variable, allant jusqu’au syndrome néphrotique dans deux cas. Des lésions glomérulaires ont été retrouvées chez tous les patients, que ce soit en microscopie optique ou en microscopie électronique. Ces lésions étaient plus marquées chez les patients souffrant d’une pathologie hépatique chronique que chez ceux ayant une pathologie aiguë.
Toutes ces études, tant nécropsiques que biopsiques, semblent indiquer que des lésions de glomérulonéphrite existent de façon fréquente en cas de cirrhose, même en l’absence de signes cliniques ou biologiques attirant l’attention vers le fonctionnement rénal.
Il semble exister une lésion précise, quoique non spécifique et de gravité variable, associant une augmentation de la matrice mésangiale, un épaississement de la paroi capillaire à des degrés variables, une augmentation modeste du nombre et de la taille des cellules et des dépôts d’immunoglobulines et de matériel de haute densité en microscopie électronique dans le mesangium et les parois capillaires. Le terme de glomérulosclérose hépatique a été proposé le premier pour définir cet ensemble de lésions [21,37].
Dans les quinze dernières années, les études par différentes équipes françaises, japonaises et espagnoles de biopsies rénales de patients ayant des cirrhoses ou des stéatoses alcooliques ont attiré l’attention sur l’association de modifications mésangiales et de dépôts mésangiaux et subendothéliaux d’IgA mais aussi d’IgG et de complément. A partir d’une étude de cas biopsiques et nécropsiques, l’équipe de Berger [16] a proposé la classification des lésions glomérulaires en deux cadres lésionnels principaux dépendant de la présence ou de l’absence de prolifération cellulaire.
Dans la glomérulonéphrite mésangiale, il n’y a pas de prolifération; les dépôts sont surtout mésangiaux, mais s’étendent fréquemment à l’espace subendothélial. Les IgA sont presque toujours la principale immunoglobuline détectée, mais sont souvent associées à des IgG, à des IgM ou aux deux. On retrouve du complément sous la forme de C3 et de C1q. Il existe souvent des anomalies du sédiment urinaire associées.
Dans la glomérulonéphrite membranoproliférative, les IgA sont toujours la principale, et parfois même la seule immunoglobuline présente, mais les dépôts sont intra-membraneux et l’épaisseur de la basale glomérulaire est augmentée. Il existe des lésions prolifératives. Cliniquement ces lésions s’accompagnent de protéinurie, parfois à un degré néphrotique, et d’hématurie micro- ou macroscopique.
Ces différentes études ont fait apparaître un certains nombre d’éléments convergents, et on retrouve chez la plupart des auteurs les notions suivantes :
- La sévérité des lésions rénales est influencée par le caractère chronique de l’hépatopathie et l’étendue des dommages cellulaires hépatiques;
- L’incidence des lésions rénales augmente avec l’âge du patient;
- Parmi la population des cirrhotiques, les femmes ont une incidence supérieure de lésions glomérulaires;
- Il y a une liaison avec l’hyperglobulinémie, et plus spécifiquement avec un taux élevé d’IgA;
- On peut observer dans certains cas la présence de cryoglobulinémie, d’hypocomplémentémie ou de vascularite cutanée;
- La lésion glomérulaire la plus fréquemment rencontrée est une prolifération mésangiale avec dépôts d’IgA en immunofluorescence [37].
Les glomérulonéphrites à dépôts d’IgA peuvent être cliniquement latentes, mais sont souvent accompagnées d’une protéinurie, d’une hématurie et d’une hypertension artérielle. Elles évoluent parfois comme une glomérulonéphrite rapidement progressive, avec l’apparition d’une insuffisance rénale. Le pronostic est très variable et dépend essentiellement de l’apparition ou non d’une insuffisance rénale rapidement progressive, auquel cas le pronostic est grave et l’épuration extra-rénale peut s’avérer nécessaire, le plus souvent à titre définitif, car il n’existe pas de récupération spontanée de la fonction rénale dans ce cas [11].
Il faut également signaler la possibilité de survenue chez les patients cirrhotiques, ayant habituellement des conditions de vie précaires et souvent plus ou moins immuno-déprimés, de glomérulonéphrites post-infectieuses. Ces glomérulonéphrites s’accompagnent d’un syndrome néphritique classique pouvant évoluer vers une insuffisance rénale transitoire nécessitant l’épuration extra-rénale à titre symptomatique [54].


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