Rappels sur la dialyse péritonéale

Généralités

Principe

Au cours de l’insuffisance rénale, toutes les fonctions rénales sont atteintes à des degrés divers. En cas d’insuffisance rénale évoluée, le remplacement de ces fonctions défaillantes devient nécessaire à la survie même du patient. La dialyse péritonéale réalise des échanges d’eau et de substances dissoutes entre le plasma et le liquide de dialyse introduit dans l’abdomen, en utilisant le péritoine comme une membrane semi-perméable naturelle imparfaite. La perte d’eau ou ultrafiltration est obtenue grâce à la création d’un gradient de pression osmotique entre les deux milieux. L’épuration des substances se fait essentiellement par diffusion passive à partir du sang circulant dans les capillaires péritonéaux [48].
La dialyse péritonéale permet l’évacuation des déchets du métabolisme tels que l’urée, la créatinine, les phosphates, le potassium, l’eau, etc.… ainsi que la correction de l’acidose métabolique en apportant du lactate se transformant en bicarbonate au niveau hépatique [81].
La première utilisation clinique du péritoine remonte à 1923. Ses faibles performances imposent des séances de 12 heures répétées trois fois par semaine [48]. En 1975, la réflexion sur la “dialyse idéale” amène Popovich et Moncrief à définir le concept de dialyse péritonéale continue ambulatoire (DPCA) : dialyse continue, sans machine, efficace et réalisable à domicile [48,116,155]. En raison des troubles engendrés par les traitements intermittents, ils envisagent une dialyse “à l’équilibre” dont les faibles performances intrinsèques sont compensées par le caractère continu des échanges, ce qui en ferait une méthode efficace et mieux tolérée.

Physiologie

Ultrastructure du péritoine

La cavité péritonéale est bordée par une membrane séreuse continue formée d’une unique couche mésothéliale soutenue par du tissu conjonctif. Il existe de façon physiologique une petite quantité de liquide dans la cavité péritonéale (moins de 100 ml), ce qui, associé au surfactant sécrété par les cellules mésothéliales, permet la lubrification de la cavité péritonéale, dans laquelle les organes internes peuvent bouger. Le péritoine viscéral recouvre les organes viscéraux et le péritoine pariétal borde la surface interne de la paroi abdominale. Les cellules mésothéliales sont des cellules aplaties et allongées de 0,6 à 2 µm d’épaisseur. De leur face endoluminale partent de nombreuses extensions cytoplasmiques de 2 à 3 µm de longueur, les microvilli [34,65,80,81,155], ce qui augmente la surface de 1,70 m2 de surface basale jusqu’à 40 m2 de surface totale [65,80,81,155]. Cependant la surface effective participant à la dialyse péritonéale serait inférieure à 1 m2, 20 % des capillaires péritonéaux seulement étant perfusés à l’état normal [154,166]. On observe des vésicules de pinocytose abondantes et souvent confluentes qui occupent la plus grande partie du cytoplasme tout en prédominant au niveau de la base des microvillosités, et s’ouvrent soit vers la cavité péritonéale, soit vers le pôle basal de la cellule [5,34].
Il existe sous la couche cellulaire mésothéliale une membrane basale. Comme partout dans l’organisme, l’interstitium est composé de faisceaux de fibres collagène et de filaments de protéoglycanes dans une matrice gélatineuse. Ces filaments forment un réseau très fin remplissant les espaces entre les fibres collagène. Le liquide interstitiel est piégé dans les espaces minuscules entre les filaments de protéoglycanes. Les liquides peuvent traverser la matrice de l’interstitium par diffusion ou convection, en entraînant avec eux des molécules d’électrolytes, d’oxygène, d’oxyde de carbone et de nutriments [80].
La dialyse péritonéale entraîne des modifications sur le péritoine. Dobbie et al. ont mis en évidence des lésions de dégénérescence cellulaire mésothéliale et d’œdème cellulaire [34]. Il existe également une relative prolifération cellulaire mésothéliale plus ou moins anarchique et une diminution des microvilli [81], une désorganisation du tissu interstitiel et des fibres collagènes, des solutions de continuité au niveau du mésothélium [154].
Chez le sujet insuffisant rénal non encore dialysé, on retrouve également des modifications de la structure du péritoine. Il existe habituellement une polysérite et l’on retrouve fréquemment une lame d’ascite lors de la pose du cathéter de dialyse. A la biopsie, on constate qu’il existe un certain degré d’hypervascularisation et une augmentation de l’épaisseur de l’interstitium due en grande partie à un œdème interstitiel [154].

Vascularisation

La vascularisation du péritoine viscéral se fait par l’intermédiaire des branches de division des artères mésentériques et cœliaque. Le retour veineux est assuré par le système porte. Le péritoine pariétal est vascularisé par les branches des artères circonflexes, iliaques, lombaires, intercostales et épigastriques. Le drainage veineux est dirigé vers la veine cave, ce qui explique que les traitements intrapéritonéaux ne sont soumis qu’en partie au phénomène de premier passage hépatique. Les capillaires pariétaux et viscéraux se ramifient de façon très complexe. Les capillaires péritonéaux ont une couche endothéliale et une membrane basale continues ne comportant que quelques rares fenestrations [65, 80].

Drainage lymphatique

Il est sous la dépendance de vaisseaux lymphatiques spécialisés localisés dans le péritoine sous-diaphragmatique. A ce niveau la membrane basale et le treillis de tissu conjonctif sous-jacent deviennent fenestrés et permettent ainsi aux cellules mésothéliales et endothéliales de former un canal de la cavité péritonéale vers les lacunes lymphatiques. Le drainage lymphatique se fait ensuite vers le canal lymphatique droit et le canal thoracique. Il agit comme un système à sens unique permettant le retour du liquide et des protéines en excès dans la cavité abdominale vers la circulation systémique [80].
Bien que les lymphatiques drainant les fluides et les électrolytes en provenance de la muqueuse intestinale traversent le mésentère avant de se jeter dans le canal thoracique, ils ne contribuent pas significativement à l’absorption liquidienne en provenance de la cavité péritonéale [123].
Le liquide intra-péritonéal est absorbé dans les lymphatiques subdiaphragmatiques par convection et ce phénomène est virtuellement la seule voie permettant l’absorption des macromolécules (masse supérieure à 20 000 Daltons), des particules biologiquement inertes, des cellules, et la voie principale d’absorption des liquides iso-osmotiques iso-oncotiques présents dans la cavité péritonéale [2,52,80,95,97,144].
Cette notion est à la base des évaluations de l’absorption lymphatique qui représente environ 1 ml/mn (de 0,5 à 1,5 ml/mn) [95,97].

Echanges transpéritonéaux

Le péritoine mésentérique représente la part la plus importante du péritoine concerné par les échanges transpéritonéaux [155]. Ceux-ci se produisent soit par diffusion, soit par convection. Le transport des petites molécules entre la microcirculation péritonéale et la cavité péritonéale se produit surtout par diffusion.
La diffusion nette d’une substance est directement proportionnelle au gradient de concentration de cette substance et inversement proportionnelle à la racine carrée de sa masse moléculaire. L’oxygène, l’oxyde de carbone, l’alcool et les acides gras, qui sont à la fois hydro- et liposolubles, peuvent diffuser à travers la portion lipidique des membranes biologiques. Les chiffres de leur transport transmembranaire sont deux fois plus élevés que ceux de l’eau. L’eau et les substances hydrosolubles doivent emprunter des passages transcellulaires mal connus ou des fissures intercellulaires. En effet les jonctions cellulaires ne sont pas occlusives, mais discontinues, ménageant entre deux cellules contiguës un espace d’environ 40 angströms dont les dimensions varient en fonction des conditions physiologiques (et en particulier de la respiration en ce qui concerne le péritoine diaphragmatique) ou pathologiques (péritonite, ascite, réaction inflammatoire) [5].
On trouve de nombreuses charges électriques négatives à la surface de l’endothélium capillaire et des cellules mésothéliales, ainsi que dans l’interstitium [66]. Les charges électriques portées par les solutés peuvent donc modifier leur capacité à emprunter des passages intracellulaires.
Le transport de masse ou phénomène de convection est un mécanisme de transport important pendant les échanges en dialyse péritonéale utilisant des solutions qui contiennent des agents osmotiques. Que le transport de masse soit induit par un gradient de pression osmotique ou hydrostatique, les mouvements hydriques et de nombreuses molécules sont plus importants que ce qu’on attendrait du phénomène de simple diffusion. Les substances de masse moléculaire trop élevée pour pouvoir passer facilement à travers les ‘pores’ des membranes créent un gradient de pression osmotique, ce qui entraîne des mouvements de convection de l’eau à travers les pores de la membrane. Pendant le phénomène de convection, les concentrations du sodium et du potassium par litre d’ultrafiltrat sont habituellement très inférieures à leurs concentrations respectives dans le liquide extra-cellulaire, ce qui révèle un phénomène de tamisage par la membrane. Un tel effet de tamisage pourrait relever soit des interactions entre les charges des électrolytes et celles présentes à la surface au niveau des liaisons intercellulaires et de la matrice interstitielle, soit d’un phénomène d’ultrafiltration à travers de très petits passages, peut-être au niveau des capillaires proximaux [108].
Les mécanismes de diffusion et de convection sont indépendants l’un de l’autre. Cependant, le phénomène de tamisage qui intervient pendant l’ultrafiltration crée un gradient de concentration pour les électrolytes, ce qui entraîne une augmentation de leur transport par diffusion. Par contre, la diffusion limite l’ultrafiltration en raison de l’absorption progressive du glucose et donc de la disparition du gradient de concentration en glucose et de la pression osmotique résultante [80].
Le transport pinocytotique des solutés à travers les cellules est un mécanisme important pour le transport des macromolécules. De petites quantités de protéines plasmatiques fuient depuis les veinules vers la cavité péritonéale. Toutefois, il n’existe pas de preuve d’un possible retour des macromolécules vers le sang à travers la paroi capillaire. La principale voie pour l’absorption des macromolécules en provenance de la cavité péritonéale semble être le réseau lymphatique subdiaphragmatique [2,52,80,95,97,144].

Maximum des clairances de l’urée

En dialyse péritonéale chez l’adulte, les clairances sont proportionnelles au débit de dialysat. Cependant les clairances maximales de l’urée ne dépassent pas en pratique 30 ml/mn, même avec des cycles très rapides [148]. Les clairances hebdomadaires de l’urée sont en pratique à peu près égales au débit de dialysat. Popovich et al. les évaluent ainsi à 84 litres par semaine chez les patients ayant 5 échanges journaliers et 2 litres d’ultrafiltration, et à 70 litres par semaine chez les patients ayant 4 échanges journaliers [116].
Quoiqu’il ait été suggéré que les clairances de l’urée sont limitées par le flux sanguin péritonéal effectif, certains arguments indirects indiquent que ce n’est pas le cas [108]. En effet, le débit sanguin splanchnique est compris entre 1200 et 1700 ml/mn. Cependant, il faut déduire la perfusion du foie, de la rate et des organes sans contact avec le dialysat. La quantité de sang perfusant réellement la cavité péritonéale n’est que de 100 à 150 ml/mn. Les échanges au cours de la dialyse concernant principalement le réseau capillaire, la quantité de sang qui participe réellement à la dialyse se trouve dans la zone de 50 à 80 ml/mn [154]. Ce faible débit sanguin peut être responsable des faibles clairances observées en dialyse péritonéale intermittente; cependant, en dialyse péritonéale continue ambulatoire, où par définition les temps de contact sont longs et la dialyse “à l’équilibre”, le flux sanguin n’a probablement qu’une importance faible sur la qualité d’épuration, du moins en l’absence d’insuffisance cardiaque majeure [154,158].
Par contre, l’absorption lymphatique continue pendant les échanges diminue les clairances de petites molécules d’environ 17 % [98]

Phénomène d’équilibration

Quand une solution est placée dans la cavité péritonéale, les substances en solution dans le sang et dans le liquide de dialyse s’équilibrent lentement. La vitesse d’équilibration pour une substance donnée est fonction de sa taille. Il existe aussi des différences individuelles entre les patients qui peuvent avoir des vitesses d’équilibration différentes pour une même substance et donc des clairances différentes. Le coefficient de transfert de masse par unité de surface représente le meilleur reflet de la perméabilité péritonéale. En pratique cependant, cette mesure est difficilement réalisable [80,154,158] Afin d’évaluer le fonctionnement de la membrane péritonéale, Twardowski et al. [152] ont proposé l’utilisation des rapports de la concentration dans le Dialysat par rapport à la concentration dans le Plasma (D/P) d’une substance donnée, obtenus lors d’un test d’équilibration péritonéale, ainsi que le rapport de la concentration au temps t par rapport à la concentration initiale du glucose (D/D0). Après un temps de contact de quatre heures avec un soluté de dialyse concentré à 2,5% de dextrose, les rapports moyens d’équilibration pour l’urée, la créatinine, le sodium, le potassium et les protéines s’établissent respectivement à 0,90, 0,70, 0,85, 0,70, et 0,001. Le rapport de la concentration finale en glucose par rapport à la concentration initiale est de 0,40 quand on utilise une solution à 2,5% de dextrose [151].
Le test d’équilibration permet de caractériser les patients en hauts, moyens et faibles transporteurs péritonéaux en fonction de leur D/P respectifs [151].
Les patients ayant des perméabilités péritonéales élevées (D/P supérieur à la moyenne + 1 déviation standard) absorbent rapidement le glucose et donc réduisent également plus rapidement le gradient de pression osmotique. Ils sont dits “hyperperméables”. De ce fait, ils ne produisent qu’une faible ultrafiltration en dialyse péritonéale continue ambulatoire standard, parfois même en utilisant des solutés hypertoniques. En raison de leur capacité à transporter rapidement les substances du sang vers le liquide de dialyse, ces patients, même quand ils ont perdu toute fonction rénale résiduelle, sont correctement dialysés avec moins de 24 heures de dialyse par jour. La meilleure solution est de pratiquer des échanges courts et fréquents de façon à conserver une ultrafiltration adéquate. La technique la plus efficace est d’utiliser un régime de dialyse péritonéale intermittente nocturne par cycleur. En effet, les courbes d’équilibrations de ces patients mettent en évidence des D/P pour les petites molécules à 1 ou 2 heures supérieurs à ceux obtenus après 4 heures de dialyse par les patients ayants des perméabilités moyennes ou basses. On peut donc atteindre les mêmes clairances avec des temps de contact péritonéal 50 à 75 % plus courts, tout en limitant les phénomènes de réabsorption lymphatique et d’absorption glucidique à l’origine de la baisse de l’ultrafiltration [80,152].
Les patients dont les D/P sont compris entre la moyenne et la moyenne + 1 déviation standard ont une perméabilité moyenne-haute. La dialyse péritonéale continue ambulatoire standard utilisant 8 à 9 litres de dialysat par jour est pour eux la meilleure prise en charge. En utilisant des solutés moyennement concentrés à 2,5% de dextrose, ils peuvent avoir à la fois une bonne qualité d’ultrafiltration et de dialyse [80,152].



Figure 2. Test d’équilibration dans une population témoin. Les aires colorées par différents motifs représentent les intervalles correspondant aux courbes d’équilibration des différentes catégories de patients. Les lignes les délimitant correspondent aux courbes de transport maximal, moyen + 1 déviation standard (ds), moyen, moyen - 1 ds, minimal. Le transport est d’autant plus important que le rapport D/P de la créatinine est plus élevé et que le rapport D/D0 du glucose est plus bas. D’après Twardowski et al. [150,151,152]

De nombreux patients avec une perméabilité moyenne-basse (D/P entre la moyenne et la moyenne - 1 déviation standard) et une fonction rénale résiduelle négligeable peuvent également être pris en charge en dialyse péritonéale continue ambulatoire mais nécessitent plus de 8 à 9 litres par jour. D’un autre côté, ces patients sont capables de générer de gros volumes d’ultrafiltration avec des solutés faiblement concentrés en glucose [80,152].
Enfin les patients hypoperméables (D/P inférieur à la moyenne - 1 déviation standard) sont habituellement sous-dialysés même s’ils peuvent facilement équilibrer leur balance hydrique. Quand ils n’ont plus aucune fonction rénale, ils éprouvent souvent des difficultés à atteindre une qualité de dialyse correcte. Il peut s’avérer inévitable de transférer ces patients vers l’hémodialyse [80,152].
A la fin des années 1980, l’équipe de Verger a mis au point une autre technique d’exploration de l’efficacité de la dialyse chez un patient. Cette méthode, actuellement très employée, consiste à calculer le moment où les courbes d’équilibration du glucose et de l’urée se croisent (temps APEX). L’utilisation d’une échelle semi-logarithmique pour le temps permet de transformer les courbes d’équilibration en droites dont il est facile de calculer les équations par régression linéaire. Cette méthode permet de ne faire que quatre dosages en deux heures, pourvu que les temps de prélèvement soient notés de façon très précise. Les valeurs de référence ont été établie avec des volumes de 2 litres de dialysat Baxter-Dianéal® hypertonique à 3,86 % de glucose. Un temps APEX compris entre 49 et 89 minutes correspond à une fonction péritonéale normale; un temps APEX court est le reflet d’un péritoine hyperperméable; un temps APEX allongé correspond à un péritoine hypoperméable. Conjointement on dose les variations du sodium du dialysat qui doit normalement baisser d’au moins 5 mEq/l en deux heures, car l’ultrafiltration est composée pour moitié d’eau libre [157,158]. Un temps APEX très élevé, ou normal mais associé à une ultrafiltration basse sans variation de sodium doit faire suspecter une perte de surface péritonéale ou faire rechercher une cause hémodynamique. Un temps APEX normal ou modérément élevé avec une variation normale du sodium et une ultrafiltration basse doit faire suspecter une fuite de dialysat dans la paroi, une malposition du cathéter ou une réabsorption lymphatique accrue [157,158].

Forces en jeu

Dans les conditions physiologiques, il existe une fuite permanente d’ultrafiltrat vers la cavité péritonéale (cf figure 3).
Les mouvements liquidiens à travers le péritoine sont gouvernés par les gradients de pression hydrostatique et oncotique entre les capillaires et l’interstitium [68]. La pression hydrostatique intracapillaire tend à faire passer le plasma et les substances dissoutes à travers les pores de la paroi vers l’espace péritonéal, surtout au niveau des capillaires proximaux. Ce phénomène est accentué par la pression colloïdale et par le niveau relativement bas de la pression hydrostatique dans l’espace interstitiel. Dans les conditions physiologiques, au niveau des tissus autour de la cavité péritonéale, la pression hydrostatique nette contre la paroi capillaire est plus importante que la pression oncotique du plasma et des protéines interstitielles, entraînant un gradient de pression légèrement positif entre la lumière capillaire et les tissus environnants. Ceci entraîne une fuite permanente d’ultrafiltrat en-dehors des capillaires. C’est cet ultrafiltrat qui devient le liquide interstitiel libre dont dérive ensuite la lymphe. La proportion exacte de ce liquide réabsorbée dans les veinules et les capillaires distaux est inconnue. De petites quantités de ce liquide pénètrent constamment dans la cavité péritonéale pour lubrifier la surface des organes intrapéritonéaux. Le turn-over est assuré par une absorption continue de ce liquide par les lymphatiques subdiaphragmatiques [80].



Figure 3. La somme des gradients de pression hydrostatique et oncotique de chaque côté de la paroi capillaire favorise un transfert de liquide du capillaire vers l’interstitium et la cavité péritonéale. D’après Khanna et Nolph [80].


Production lymphatique

Le liquide qui pénètre dans le système lymphatique est identique au liquide interstitiel. Sa concentration en protéines est en moyenne de 20 g/l bien que la concentration protéique moyenne dans l’ultrafiltrat provenant de l’extrémité artérielle des capillaires ne soit que de 2 g/l [68]. La raison en est qu’une grande partie de l’eau et des ions est réabsorbée au niveau de l’extrémité veineuse des capillaires, mais pas les protéines, ce qui entraîne un phénomène de concentration d’un facteur 10 [80].
Les pressions intrapéritonéale et interstitielle sont normalement légèrement négatives. Tout facteur qui augmente la pression interstitielle augmente aussi le flux lymphatique provenant de l’interstitium. Les facteurs concernés sont l’augmentation de pression capillaire, la diminution de la pression oncotique plasmatique, l’augmentation de la concentration interstitielle en protéines, l’augmentation de la perméabilité capillaire et l’augmentation de pression intrapéritonéale [68]. L’activité de la “pompe lymphatique” constituée par la contraction musculaire, les mouvements, les pulsations artérielles et les compressions externes est un autre facteur en jeu [68]. Des observations ont montré que le flux lymphatique très faible à la pression interstitielle normale de -6 mmHg est multiplié par 20 quand la pression du liquide interstitiel devient légèrement positive. Au-delà, le flux lymphatique n’augmente plus, ce qui suggère l’existence d’une limite maximale au flux lymphatique [147].
Dans les conditions normales, Guyton [68] propose les mécanismes suivants pour expliquer la régulation du flux lymphatique interstitiel transmembranaire : la réabsorption à l’extrémité veineuse du capillaire de l’ultrafiltrat entraîne une accumulation graduelle de protéines dans l’espace interstitiel, donc une augmentation de la pression oncotique tissulaire, qui diminue la réabsorption capillaire de liquide. Il y a donc une augmentation de la pression tissulaire et la pression interstitielle devient moins négative, ce qui entraîne une augmentation du flux lymphatique et un phénomène de “wash-out” des protéines interstitielles, dont la concentration retourne à la normale. Ces mécanismes forment un “système de sécurité”, prévenant ainsi la formation d’œdème au niveau des tissus.

Changements introduits par la dialyse dans les forces physiques

Les altérations de pression qui interviennent pendant le séjour d’un liquide iso-osmotique et iso-oncotique dans la cavité péritonéale sont les suivants: l’augmentation de pression intrapéritonéale conduit à une augmentation de l’absorption liquidienne par les lymphatiques subdiaphragmatiques et ainsi réduit le volume intrapéritonéal. Pour les cirrhotiques chez lesquels ont retrouve des pressions intrapéritonéales très élevées, l’augmentation de l’absorption lymphatique péritonéale observée à été supérieure à 223 ml/heure [110]. L’augmentation de pression intrapéritonéale entraîne également une augmentation transitoire des volume et pression de liquide interstitiel libre. Théoriquement, toute augmentation du volume intrapéritonéal non compensée par une augmentation comparable du flux lymphatique entraîne une augmentation de la pression hydrostatique de liquide interstitiel libre par la transmission directe de la pression à travers le péritoine et/ou par l’augmentation (transitoire) du volume de liquide interstitiel due à des apports (présumés petits) de liquide directement absorbé à travers le mésothélium. L’amplitude de l’augmentation de pression dépend de la compliance des tissus et de la réponse du flux lymphatique [80].
La somme des phénomènes observés permet de maintenir un gradient de pression permettant la filtration en-dehors du capillaire, mais à un niveau inférieur au niveau normal. Le fait qu’on n’observe pas d’œdème de la paroi abdominale chez les patients en dialyse péritonéale laisse penser que le “système de sécurité” n’est pas débordé par ces phénomènes [80].

Cinétique de la dialyse

Pendant la dialyse le glucose est utilisé comme un agent osmotique afin d’accroître l’ultrafiltration. En effet, en raison de son coefficient de réflection élevé, le glucose génère une pression osmotique élevée qui induit une ultrafiltration sanguine. Quand on introduit 2 litres de solution de dialyse dans le péritoine pendant une séance de dialyse, les forces qui rentrent habituellement en ligne de compte au travers du capillaire sont modifiées en faveur d’un accroissement de l’ultrafiltration (cf figure 4) [80].



Figure 4. Effets de l’augmentation des pressions hydrostatique intrapéritonéale et osmotique sur l’ultrafiltration : une ultrafiltration nette importante est générée par le gradient de concentration en glucose et la filtration nette due à la somme des pressions hydrostatique et osmotique entraîne une augmentation du volume intrapéritonéal. Ce volume diminue secondairement à cause de la réabsorption continue par les lymphatiques subdiaphragmatiques et interstitiels.
D’après Khanna et Nolph [80].


Un temps de contact en dialyse péritonéale de 4 heures avec un soluté moyennement hypertonique (à 2,27 %) entraîne une ultrafiltration transcapillaire de 500 à 800 ml [98]. Pendant ce même laps de temps, la résorption lymphatique cumulée peut atteindre 350 ml. L’ultrafiltration nette mesurable est donc ramenée à un volume de 150 à 450 ml. Le pic de volume intrapéritonéal est observé après environ 2 heures de dialyse, quand le flux lymphatique égale l’ultrafiltration transcapillaire à ce moment. Ensuite le volume intrapéritonéal décroît car le flux lymphatique (qui est à-peu-près constant) dépasse alors l’ultrafiltration transcapillaire (qui diminue avec la diminution du gradient de pression osmotique en raison de l’absorption du glucose par le péritoine et de la dilution par l’ultrafiltrat) (cf figure 5) [81,97].



Figure 5. L’absorption lymphatique s’oppose à l’ultrafiltration (UF) transcapillaire pour aboutir à une ultrafiltration (UF) nette observée qui est la somme des deux phénomènes. Les traits verticaux représentent les moyennes des mesures ± 1 déviation standard. D’après Mactier et Khanna [97]


Le point d’équilibration pour le glucose n’est atteint que bien plus tard, entre la 6ème et la 8ème heure. L’ultrafiltration, bien qu’à un très faible niveau, continue jusqu’à atteindre l’équilibre osmolaire. Il y a deux raisons à cette persistance de l’ultrafiltration : le déséquilibre en glucose et la somme des effets des forces de Starling [80].
Chez les patients ayant des perméabilités élevées, l’absorption lymphatique est comparable à celle observée chez les patients avec des perméabilités moyennes. Cependant son action est majorée proportionnellement, du fait de la rapidité d’absorption glucidique à l’origine d’une disparition plus précoce du gradient de pression osmotique et donc d’une ultrafiltration transcapillaire cumulée moindre. Chez ces patients, la prolongation de la durée des échanges peut aboutir à une ultrafiltration mesurée négative [95]. L’importance du phénomène peut aboutir à l’impossibilité de dialyser correctement un patient en dialyse péritonéale et entraîner un passage en hémodialyse [99].
D’un autre point de vue, Kagan [76] a étudié les échanges protidiques se produisant lors de la dialyse péritonéale. Comme nous l’avons déjà dit, les clairances de tous les solutés sont inversement proportionnelles à leur masse moléculaire. Mais contrairement à ce qui ce passe pour les petites molécules (masse inférieure à 200 Daltons) dont les clairances diminuent progressivement après la première heure d’un cycle dialytique sur huit heures, les clairances des grosses molécules (masse supérieure à 68 000 Daltons) restent constantes tout au long de la dialyse. Les protéines de faible taille (masse inférieure à 15 000 Daltons) se comportent de la même façon que les petites molécules. Ceci indique que les cycles de dialyse prolongés, de 6 à 8 heures, n’apportent qu’un gain négligeable du point de vue de la dialyse des petites molécules et des protéines de faible masse lors des dernières heures du cycle, alors même qu’il existe toujours à ce moment une fuite des grosses protéines telles que l’albumine et les immunoglobulines. L’auteur préconise donc les échanges de courte durée, voire la dialyse péritonéale intermittente à l’aide d’une machine de dialyse, afin de protéger les patients à risque contre une déperdition protidique excessive.

Pertes d’ultrafiltration

Les modifications du transport péritonéal expliquent la perte d’ultrafiltration chez certains patients en dialyse péritonéale. Les études au moyen des test d’équilibration permettent le plus souvent d’identifier ces changements, ou éventuellement d’autres causes [80]. On retrouve :
- l’hyperperméabilité péritonéale entraînant une diminution rapide du gradient glucidique, qu’on peut également observer de façon transitoire pendant un épisode de péritonite;
- la perte d’une importante surface de péritoine au décours d’une péritonite sévère avec formation d’adhérences;
- les pertes d’ultrafiltration, quand l’absorption lymphatique quotidienne cumulée dépasse l’ultrafiltration transcapillaire journalière [99];
- la persistance d’un volume résiduel intrapéritonéal important après un drainage théoriquement complet, ce qui entraîne lors de l’infusion suivante une dilution du glucose.
Une perte initiale d’ultrafiltration due à un haut pouvoir d’absorption glucidique et à des niveaux élevés de transfert de substances suivie par une diminution de la surface péritonéale fonctionnelle est typique d’une péritonite sclérosante et encapsulante progressive [80].
Technique
Accès péritonéal
L’accès à la cavité péritonéale est un point fondamental de la dialyse péritonéale.
Il peut se faire même au lit du malade en cas de nécessité urgente de la dialyse (insuffisance rénale aiguë), par l’insertion à l’aide d’un trocart d’un cathéter rigide avec de nombreuses perforations latérales. Toutefois ce type de cathéter nécessite de fréquentes manipulations et il est illusoire de vouloir le maintenir en place plus de 72 heures, sous peine d’augmenter considérablement les risques de péritonite [81].



Figure 6: Le cathéter de Tenckhoff. D’après Faller [48].


Le cathéter de Tenckhoff (figure 6) est celui dont l’usage est le plus répandu pour l’utilisation à long terme en dialyse péritonéale chronique. Ce cathéter et ses dérivés sont faits de silicone. Il s’agit d’un tube de 35 cm de longueur, de 2,6 mm de diamètre interne et de 5 mm de diamètre externe, qui possède une ou deux collerettes de velours de Dacron qui limitent la portion intramurale et permettent ainsi une stabilisation efficace du cathéter en même temps qu’ils représentent une barrière bactériologique.
L’implantation chirurgicale en position para-ombilicale droite ou gauche est réalisée le plus souvent sous anesthésie générale et antibioprophylaxie [155].
Dans le cadre d’une dialyse chronique, il faut différer la mise en route de la dialyse péritonéale de huit à dix jours: ce délai permet la cicatrisation de la brèche péritonéale, et évite toute mobilisation précoce du cathéter [48]. En cas d’urgence métabolique, il est préférable d’utiliser provisoirement l’hémodialyse.
Certaines conditions pathologiques comme le diabète, l’obésité, la dénutrition, les traitements par les corticoïdes, sont souvent associées à de mauvaises conditions locales de paroi et prédisposent à des fuites si la dialyse péritonéale est débutée directement avec des volumes standards. Il faut dans ce cas initier la dialyse péritonéale avec des volumes d’échange minimaux, soit 500 à 1000 ml par échange [81].

Le dialysat

Les poches de solutions de dialyse péritonéale existent en plusieurs concentrations de glucose (0,5 g%, 1,5 g%, 2,5 g% et 4,25 g% de dextrose monohydrate) et en plusieurs volumes (0,25, 0,5, 0,75, 1, 2, 2,5 et 3 litres) emballés dans des sacs en plastique transparent d’un volume potentiel au moins supérieur de 50% à celui de la solution. Les concentrations en électrolytes des différentes solutions sont proches des valeurs plasmatiques normales. En raison des difficultés techniques inhérentes à l’emploi du bicarbonate, le tampon employé est du lactate [81]. L’acétate pour sa part n’est plus employé en raison d’un risque accru de péritonite encapsulante [155].

Compositions des solutions de dialyse péritonéale

 

mmol/ l

Dextrose (g/l)

Osmolalité (mOsmol/l)

Sodium
Magnésium
Chlore
Calcium
Lactate
pH

132
0,75
102
1,75
35
5,5


15
25
42,5


347
398
486


Tableau 4: Composition des solutions de dialyse péritonéale. D’après Faller [48]

Il est à noter que la masse moléculaire du monohydrate D-glucose est environ 10% supérieure à celle du glucose. Les concentrations réelles exprimées en glucose sont donc de 13,6, 22,7 et 38,6 g/l [81]. La solution à 13,6 g/l de glucose est habituellement dite isotonique, quoique l’osmolarité normale plasmatique soit de 310 mOsmol/l.
On trouve également actuellement sur le marché des solutés à 1,25 mmol/l de calcium plus proches de la fraction ionisée de la calcémie physiologique et des solutés dans lesquels des acides aminés jouent le rôle d’agent osmotique à la place du glucose.
Le pH à 5,5 est une contingence technique destinée à éviter la caramélisation du dialysat lors de la stérilisation [48].

Matériel et technique opératoire

Les solutions de dialyse sont infusées depuis la poche plastique vers la cavité péritonéale par un cathéter déconnectable. Le set de transfert assure la connection de la poche de dialysat au cathéter. Il peut s’agir d’un connecteur rectiligne ou en Y. A l’une des extrémités du connecteur rectiligne on trouve une prise pour la connection à la prise de la poche et à l’autre extrémité un connecteur “luer-lock” pour la connection au cathéter. On obtient une protection antiseptique supplémentaire en protégeant les sites de liaison avec une éponge imprégnée de polyvidone iodée [81].
Pendant la procédure la solution de dialyse est drainée depuis la cavité péritonéale et jetée, et une nouvelle poche est infusée par gravité dans l’abdomen. Cette manipulation doit être faite dans des conditions d’asepsie rigoureuse et de façon stéréotypée, pour limiter le plus possible le risque d’infection. Il est recommandé d’utiliser la technique du “flush” qui permet d’éliminer les bactéries ayant pu contaminer la connection pendant la manipulation [81]. Les études in vitro [159] montrent qu’un effet de flush de 100 ml est suffisant pour stériliser à 100 % les lignes contaminées par un Staphylocoque Epidermidis, même après 10 heures de contact. Cette efficacité n’est plus que de 60 et 30 % respectivement en cas de contamination par un Staphylocoque Aureus ou un Pseudomonas Aeruginosa, et tombe à 0 % en cas de contact prolongé 10 heures. Cependant ces germes sont nettement moins en cause pour les contaminations manuportées que le Staphylocoque Epidermidis. La technique du flush avec le liquide de drainage est efficace à 90 % pour stériliser les lignes contaminées par un Staphylocoque Epidermidis [159]. L’efficacité de la procédure a été également confirmée en clinique, avec une réduction significative des péritonites quand cette technique est employée [132].

Machines de dialyse

Ces appareils, également appelés cycleurs, permettent une modulation très précise à la fois des volumes infusés et de la durée des cycles, ainsi que de ces différentes composantes: infusion, stagnation, drainage. Ils permettent en particulier un meilleur confort du patient en le libérant de toute manipulation pendant la journée (cas de la dialyse péritonéale continue cyclique nocturne ou de la dialyse péritonéale intermittente nocturne), et surtout une optimisation du traitement dialytique [155].

Indications

Généralités

De nombreuses équipes considèrent la dialyse péritonéale continue ambulatoire comme la thérapeutique de choix en cas d’insuffisance rénale chronique et la proposent à tous leurs patients : jeunes, âgés ou diabétiques. Pour les patients jeunes en attente de transplantation, l’hospitalisation courte pour la mise en route du traitement permet la réinsertion socioprofessionnelle la plus rapide. Pour les patients diabétiques, au stade terminal de la néphropathie, la dialyse péritonéale continue ambulatoire, outre l’épuration, représente une voie idéale d’administration de l’insuline : la voie intrapéritonéale. Enfin, dans certaines équipes, la dialyse péritonéale continue ambulatoire a longtemps été réservée aux personnes âgées. Elles représentent une population à risques car à l’insuffisance rénale chronique s’associent souvent deux ou trois pathologies. Chez ces patients, le suivi est intensifié pour dépister précocement les complications. La dialyse péritonéale continue ambulatoire représente néanmoins un excellent mode de traitement pour les vieillards grâce au maintien prolongé de la fonction rénale résiduelle et à la bonne tolérance. Elle est souvent la seule méthode qui permette le traitement à domicile des sujets âgés [48].
L’attitude actuelle consiste plutôt à déterminer quels patients ne peuvent pas bénéficier de la dialyse péritonéale continue ambulatoire car ils présentent des contre-indications formelles. Ce sont en pratique les patients ayant des réductions de la surface péritonéale, soit par ablation chirurgicale d’une partie du péritoine lors d’interventions abdominales, soit par adhérences péritonéales à la suite de péritonites ou d’interventions chirurgicales; les patients présentant des faiblesses trop importantes de la paroi abdominale pour supporter l’infusion de plusieurs litres de liquide dans l’abdomen (patients porteurs de hernie ou d’éventration); les patients à haut risque septique en raison d’une immunodépression, d’une affection cutanée pouvant entraîner des contaminations de l’émergence, de conditions d’hygiène insuffisante; les stomisés, qui cumulent les antécédents chirurgicaux, les problèmes de sangle abdominale et les risques septiques; les patients enfin ne pouvant assumer la technique dans des conditions acceptables sur le plan psychologique, intellectuel ou matériel, et ne pouvant pas être pris en charge par leur entourage ou une équipe infirmière à domicile.
La prescription de dialyse péritonéale doit de toute façon s’inscrire dans le cadre plus global d’un projet thérapeutique auquel le patient doit adhérer et dont les modalités de dialyse ne sont qu’un aspect. La dialyse péritonéale et l’hémodialyse doivent être considérée comme deux techniques complémentaires et non antagonistes, les patients pouvant d’ailleurs passer d’une modalité thérapeutique à l’autre en fonction de leur situation clinique.

Modalités techniques

Dialyse péritonéale intermittente

La dialyse péritonéale intermittente est une technique caractérisée par une alternance de périodes de dialyse et de périodes pendant lesquelles l’abdomen est vide. C’est la plus ancienne des méthodes de dialyse. Elle n’est actuellement plus utilisée que pour certains patients ayant une fonction rénale résiduelle significative et/ou une hyperperméabilité péritonéale. Différentes modalités existent: dialyse ambulatoire diurne et péritoine vide la nuit, dialyse péritonéale intermittente à raison de deux à trois séances hebdomadaires de 24 heures à l’aide d’un cycleur, dialyse péritonéale nocturne avec un cycleur et abdomen vide le jour [81]
.
Dialyse péritonéale continue

En dialyse péritonéale continue le dialysat est présent en permanence dans l’abdomen et la dialyse a donc lieu 24 heures sur 24. La dialyse péritonéale continue ambulatoire consiste habituellement en trois échanges diurnes et un échange nocturne. La dialyse péritonéale continue cyclique est réalisée la nuit à l’aide d’un cycleur, et un échange de longue durée est réalisé pendant la journée [81].

Adaptation des modalités de dialyse

Nous avons déjà largement abordé ce sujet dans le chapitre consacré à l’exploration de la perméabilité péritonéale. Rappelons juste que ces explorations permettent d’optimiser les prescriptions de dialyse (nombre et durée des cycles, solutions de dialyse à utiliser, dialyse continue ou intermittente, etc…). Il est important de garder à l’esprit que les modalités de dialyse ne sont pas fixées une fois pour toute chez un patient donné, mais qu’elles doivent évoluer en même temps que le patient en fonction de sa diurèse et de sa fonction rénale résiduelles, de l’adéquation de la dialyse, de son état clinique général, de ses résultats biologiques…

Complications

Elles sont en relation avec les conditions d’accès péritonéal, les solutions de dialyse, l’augmentation de la pression intra-abdominale.

Les complications liées au cathéter

La technique d’implantation chirurgicale des cathéters a réduit les complications telles que les déplacements intra-abdominaux, les fuites de dialysat et les éventrations. Le délai entre l’implantation du cathéter et la mise en œuvre de la dialyse péritonéale réduit les risques d’infection périluminale du cathéter [48].

Les complications liées à la membrane péritonéale

La dialyse péritonéale continue ambulatoire ainsi que les péritonites sévères induisent, à un degré variable, des modifications morphologiques du péritoine qui retentissent sur sa perméabilité.
Lorsque celle-ci augmente, les clairances péritonéales sont maintenues ou augmentées mais l’ultrafiltration diminue car l’agent osmotique disparaît rapidement du dialysat. L’hyperperméabilité est liée à une abrasion plus ou moins large et réversible du mésothélium. La perte d’ultrafiltration représente environ 10 % d’échec de la dialyse péritonéale continue ambulatoire [48].
L’hypoperméabilité correspond à un épaississement fibreux du péritoine. Dans sa forme ultime, ce phénomène peut aboutir à une sclérose encapsulante. Il s’agit de l’encapsulation des viscères abdominaux par une membrane néoformée progressivement compressive, aboutissant au stade ultime à un tableau d‘occlusion intestinale [48].

Péritonites

Les péritonites sont secondaires à l’introduction accidentelle de germes dans le dialysat et sont favorisées par les faibles défenses immunologiques locales. Leur tableau clinique et l’évolution sont généralement bénins et ne revêtent habituellement pas l’aspect gravissime du même diagnostic porté au cours des syndromes chirurgicaux.
Le diagnostic est facile: douleurs abdominales, liquide péritonéal trouble contenant plus de 100 globules blancs par mm3 dont au moins 50% de polynucléaires neutrophiles. La fièvre et l’isolement du germe ne font pas partie des critères obligatoires du diagnostic [62].
Le mode de contamination est habituellement manuporté ou dû à une infection de l’émergence du cathéter. Une contamination transmurale à partir du tube digestif est également possible [48].
L’incidence de ce type de complication a longtemps entravé le développement de la dialyse péritonéale. Au début de l’emploi de la dialyse péritonéale continue ambulatoire, cette incidence atteignait 1 épisode pour 10 semaines-patients [116]. Une étude multicentrique conduite en 1985 montre que les péritonites sont responsables de 23 % des décès en dialyse péritonéale et de 50 % des échecs de la technique [156]. Actuellement, avec les systèmes simples de connection, l’incidence est d’un épisode tous les 16 mois à 20 mois [48,62]; avec les systèmes déconnectables, cette incidence tombe à un épisode tous les 32 mois à 37 mois [48,62]. Il est donc souhaitable de favoriser ce type de systèmes et d’insister auprès des patients et du personnel soignant sur l’hygiène des mains et la qualité nécessaire des soins de l’émergence cutanée du cathéter dès son implantation , ainsi que sur la nécessité de procédures standardisées et le plus aseptiques possibles pour les manipulations [48]. En effet, bien qu’elles soient généralement faciles à traiter, les infections péritonéales représentent incontestablement un facteur de risque important car leur répétition, finissant par créer une réaction fibreuse du péritoine, est souvent à l’origine d’adhérences multiples pouvant aboutir à terme à une importante diminution de la surface d’échange [154,155]. La technique du flush, que nous avons déjà évoquée [132], doit être enseignée aux patients ou à leur entourage.
D’autre part, sur le plan nutritionnel, toute péritonite s’accompagne d’une fuite protéique importante atteignant 15 à 20 g par jour [155].

Complications dues à la pression

La présence en continu d’un important volume de solution de dialyse augmente la pression intra-abdominale, ce qui prédispose aux hernies abdominales (qu’elles soient inguinales, diaphragmatiques, ombilicales, ou qu’elles suivent le trajet des incisions chirurgicales) et aux fuites de dialysat, entraînant des œdèmes du pénis, du scrotum ou des grandes lèvres [81].
Une autre complication de ce type, plus rare cependant (1,6 % des patients en dialyse péritonéale dans une étude multi-centrique), est la survenue d’épanchements pleuraux par fuite du dialysat à travers le diaphragme [109].

Complications nutritionnelles et métaboliques

Le patient peut présenter un état nutritionnel altéré avant même l’instauration de la dialyse. L’anorexie, l’âge avancé et les éventuelles pathologies associées à l’insuffisance rénale expliquent cette situation.
La dialyse péritonéale comporte en outre des risques nutritionnels propres, secondaires à l’absorption de 60 à 80% du glucose infusé (soit 125 à 500 kCal par jour) et à la fuite péritonéale quotidienne de 2 à 10 g de protéines et de 1 à 2 g d’acides aminés [48,155]. Certains auteurs avancent même le chiffre de 8 à 18 g de pertes protidiques quotidiennes [81]. La plupart des patients en dialyse péritonéale ont logiquement une protidémie et une albuminémie légèrement inférieure à la normale [81]. L’apport glucidique entraîne un hyperinsulinisme et une hypertriglycéridémie [81]. L’obésité n’est observée que chez les patients déjà en surcharge pondérale lors de la prise en charge, mais il existe habituellement une prise de poids de 3 à 7 Kg la première année [155]. Ces effets indésirables peuvent être combattus par une surveillance nutritionnelle stricte. La collaboration d’une diététicienne est indispensable pour améliorer l’adhésion de patients souvent peu respectueux des règles diététiques [48].
Il est conseillé de respecter un apport énergétique de 30 KCal/Kg/jour, un apport protidique de 1,2 g/Kg/jour et de limiter les apports hydrosodés de façon à ne pas excéder les possibilités d’élimination. Pour compenser la fuite des acides aminés, des équipes ont proposé d’utiliser une fois par jour un dialysat à 1% d’acides aminés qui jouent par ailleurs le rôle d’agent osmotique [48]. Dans la mesure du possible, il faut essayer de limiter l’emploi des solutions hypertoniques au minimum requis pour obtenir une bonne épuration [155].
Par contre il faut noter que l’anémie, classique en cas d’insuffisance rénale chronique, est habituellement moins marquée chez les patients pris en charge en dialyse péritonéale que chez ceux traités par hémodialyse. L’amélioration de ce paramètre intervient dès la mise en dialyse et les taux d’hémoglobine peuvent alors revenir à la normale [81].


Particularités chez le cirrhotique

En cas d’ascite, les propriétés de la membrane péritonéale permettent des échanges entre le liquide ascitique et le plasma à travers les capillaires péritonéaux, de sorte qu’il existe un véritable équilibre entre l’ascite et l’espace intravasculaire [11].
Dadone [29] a étudié les différence de transport transpéritonéaux entre dix malades souffrant d’hépatopathie chronique et trente-quatre patients sans problème hépatique. Tous les patients ont subi un test d’équilibration péritonéale. Dans le but d’annuler l’influence du volume abdominal résiduel, les dosages à T0 n’étaient pas pris en compte; seuls les dosages à 1, 2, 3 et 4 heures servaient à l’étude. Dadone modifie également la présentation habituelle des résultats en utilisant une échelle semi-logarithmique pour reporter les rapports D/D0 des concentrations du glucose et D/P des concentrations des substances dialysables, et une échelle normale pour le temps. Les résultats s’inscrivent sous forme d’une droite dont on peut facilement calculer les paramètres. Il observe chez les patients porteurs d’une hépatopathie une augmentation de l’ultrafiltration et du transport de tous les solutés. L’ultrafiltration est de 570±177 ml chez les cirrhotiques contre 382±227 ml (p=0,014) chez les autres patients. Pour le transport des solutés, la différence n’est statistiquement significative que pour la créatinine (p=0,02) et les protides totaux (p=0,008).
Chez les sujets à la fonction hépatique normale, il existe une relation entre l’ultrafiltration et l’absorption du glucose et entre l’ultrafiltration et la concentration du dialysat en sodium, mais ces relations ne sont pas retrouvées chez les patients porteurs d’une hépatopathie. Chez les sujets à la fonction hépatique normale, il existe également une relation entre l’ultrafiltration et la pente de la courbe du transport du glucose, qu’on ne retrouve pas chez les patients porteurs d’une hépatopathie.
Dadone conclut que les patients porteurs d’une hépatopathie ont une capacité accrue de transport de l’eau et des solutés et qu’ils peuvent être pris en charge aussi bien en dialyse péritonéale continue ambulatoire qu’avec des échanges courts et fréquents en continu la nuit. Il attribue l’absence de corrélation entre l’ultrafiltration et l’absorption du glucose et la concentration du dialysat en sodium ainsi que l’augmentation de la capacité de transport aux mécanismes de production de l’ascite et à la réabsorption lymphatique augmentée. Il propose d’évaluer la production d’ascite par la différence observée entre l’ultrafiltration obtenue et celle qu’on obtiendrait en théorie d’après les courbes d’équilibration si la fonction hépatique du patient était normale.


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