Physiopathologie du péritoine chez le cirrhotique
Cirrhoses
Anatomie pathologique
Le terme de cirrhose est attribué aux scléroses hépatiques annulaires mutilantes qui désorganisent toute la glande. Cest le stade évolutif, en principe irréversible, de maladies chroniques diffuses du foie et dont les étiologies sont diverses.
Il sagit dun syndrome lésionnel qui correspond à un bouleversement macroscopique et histologique profond de la structure parenchymateuse et vasculaire du foie et dont le diagnostic repose en partie sur létude anatomo-pathologique.
Le foie apparaît, sur une coupe histologique, comme un tissu homogène très richement vascularisé, au sein duquel se répartissent régulièrement les espaces vasculaires. Le parenchyme hépatique est constitué pour 90 % par des travées unicellulaires d'hépatocytes, séparées les unes des autres par des capillaires sinusoïdes. Ceux-ci, se distribuant entre les vaisseaux d'apport des espaces portes et les vaisseaux de drainage, forment un important réseau vasculaire, zone d'échange primordiale entre le sang circulant et les hépatocytes [20].
Pour comprendre le mode de constitution et la topographie de la fibrose des nodules, il est indispensable de rappeler limportance du concept de lacinus de Rappaport [121,122], qui schématise linterdépendance des systèmes porte et hépatique dun point de vue fonctionnel, avec la division en trois zones des acini simples et complexes :
Figure 7 Lacinus de Rappaport. Daprès Martin [103] et Rappaport [121]
Cette entité morphologique et fonctionnelle correspond à lunité microvasculaire du foie, définie comme une petite zone losangique de parenchyme, située de part et dautre dune petite ramification septale despace porte entre deux veines. Chaque acinus est donc à cheval sur deux lobules anatomiques; son irrigation dépend des branches terminales des vaisseaux portes (veinules de diamètre inférieur à 40 µm et artérioles) qui cheminent dans laxe septal, associés à un lymphatique, un ductule biliaire et des filets nerveux. Le sang est ensuite drainé dans des sinusoïdes partant à angle droit et se jetant dans deux veines centrolobulaires (diamètre inférieur à 65 µm) à la périphérie de lacinus. La perfusion des hépatocytes le long des sinusoïdes est un processus séquentiel, responsable dune hétérogénéité fonctionnelle : les hépatocytes périportaux sont perfusés les premiers; les hépatocytes centrolobulaires sont irrigués en dernier. Lacinus est ainsi divisé arbitrairement en trois zones arciformes, disposées en bulbe doignon autour des branches septales : zone 1 : périportale ou afférente; zone 2 : médiolobulaire ou intermédiaire; zone 3 : centrolobulaire ou efférente. La réunion des zones 3 de plusieurs acini contigus autour dune même veine centrolobulaire définit une importante surface parenchymateuse de forme étoilée, particulièrement vulnérable, du fait de sa faible oxygénation, en particulier lors des processus ischémiques [20].
Au niveau du foie, comme de tout autre organe, des lésions nécrosantes, inflammatoires, dystrophiques, vasculaires, etc. peuvent, soit régresser totalement, soit laisser des séquelles, soit être le prélude de lésions qui évoluent progressivement vers des scléroses plus ou moins extensives.
Certaines lésions aiguës localisées (abcès, infarctus, traumatismes etc.) peuvent provoquer des fibroses cicatricielles localisées non évolutives qui ne sont pas des cirrhoses.
La cirrhose par contre est le terme évolutif possible de maladies chroniques de la glande hépatique. Ces maladies atteignent au départ de leur évolution, soit essentiellement le parenchyme lobulaire (hépatite virale, toxique etc.
), soit le mésenchyme portal (hépatite chronique, cirrhose biliaire primitive etc.
), et très souvent simultanément les deux constituants du foie. A leur début ces maladies ont donc des topographies lésionnelles particulières liées à létiologie. Mais au terme de leur évolution, elles aboutissent à des mutilations nodulaires réunies par plusieurs caractères morphologiques communs. Même sil subsiste parfois quelques nuances morphologiques particulières à certaines de ces étiologies, il est parfaitement admis actuellement que la cirrhose correspond à un syndrome lésionnel unique, stade évolutif tardif commun de plusieurs maladies hépatiques diffuses. Les caractères anatomiques peuvent donc être décrits indépendamment de toute notion étiologique [103].
Quelle que soit létiologie en cause une cirrhose ne peut se constituer que sil y a association de trois facteurs obligatoirement liés:
- une destruction plus ou moins rapide et étendue du parenchyme par des altérations hépatocytaires nécrosantes,
- des réactions mésenchymateuses inflammatoires et sclérosantes,
- un processus de régénération visant à compenser la destruction.
Ces trois processus doivent, pour aboutir à la cirrhose, être entretenus pendant longtemps par la persistance de lagression causale [103].
La cirrhose entraîne des modifications importantes notamment du régime circulatoire intra-hépatique, que ce soit au niveau lésionnel ou au niveau fonctionnel. Le développement de la fibrose et des nodules de régénération efface ou comprime les veines centrolobulaires de drainage, avec une diminution du nombre ou une asymétrie de position des veines sus-hépatiques à lintérieur des nodules, voire leur totale disparition. On constate fréquemment une capillarisation des sinusoïdes qui diminue les échanges métaboliques avec les hépatocytes [134]. Au niveau des espaces portes, les veines sont englobées dans la sclérose et ont une paroi souvent épaissie, et une lumière parfois collabée [103]. Il y a blocage de lexpansion du lit vasculaire portal. Les conséquences de ces modifications sont une augmentation de la pression sinusoïdale avec une augmentation du flux lymphatique, lapparition de lhypertension portale et le développement danastomoses porto-systémiques privant le foie dune partie du sang portal, entraînant de ce fait une insuffisance permanente de la vascularisation des nodules qui aggrave linsuffisance fonctionnelle liée à la réduction de la masse parenchymateuse [117]. La compensation est assurée par une augmentation du flux artériel hépatique [103]
Classification
Classification macroscopique
En 1974, la conférence internationale pour la standardisation de la nomenclature des maladies du foie [33] a proposé ladoption dune classification macroscopique basée sur laspect des nodules. Cette classification a été reprise en 1978 à linitiative de lOrganisation Mondiale de la Santé par un groupe international de chercheurs [4]:
Les cirrhoses sont :
- micronodulaires (nodules de moins de 0,5 mm à 3 mm) ou macronodulaires (nodules de plus de 3 mm, jusquà 5 cm de diamètre),
- mixtes, à la fois micro- et macronodulaires,
- multilobulaires, avec de larges travées fibreuses mutilant irrégulièrement le parenchyme.
Classification selon lévolutivité histologique
En 1975, Baggenstoss [12] classe les cirrhoses en trois stades ou grades : stade 1 comportant peu de nodules de régénération, stade 2 avec environ 50% de nodules de régénération, stade 3 où le foie est entièrement constitué de nodules de régénération.
Classification clinique
Différents auteurs ont tenté dattribuer une valeur pronostique à certains signes ou groupes de signes cliniques et biologiques [23]. Une des classifications les plus utilisée fait appel aux critères de Child et Turcotte [24].
Groupe |
Classe A |
Classe B |
Classe C |
Bilirubinémie µmol/l |
< 35 |
35 - 50 |
> 50 |
Tableau 5: Classification de Child-Turcotte [24]
Cependant le classement de certains malades nayant quune partie des critères dune classe est impossible. On peut surmonter cette difficulté en attribuant 1, 2, ou 3 points à chacun des critères des classes A, B, ou C. Pour chaque malade on obtient ainsi un score de 5 à 15 points. On peut alors redéfinir la classe A (5 à 8 points), la classe B (9 à 11 points) et la classe C (12 à 15 points). Cette redéfinition des classes à partir dun score na pas fait lobjet dun accord unanime [15].
Cette classification a été reprise et modifiée par Pugh [120] qui propose lui aussi dattribuer aux patients des points en fonction de cinq éléments cliniques et biologiques simples, pour ainsi leur attribuer un score global facilitant leur classification. Les patients ont un score de 5 à 15 points. Ceux qui ont 5 ou 6 points sont regroupés dans le groupe A, ceux qui ont de 7 à 9 points dans le groupe B et ceux qui ont de 10 à 15 points dans le groupe C (cf tableau 6).
Ces critères sont les suivants:
1 point |
2 points |
3 points |
|
Bilirubinémie µmol/l |
< 35 |
35 - 50 |
> 50 |
Albuminémie g/l |
> 35 |
28 - 35 |
< 28 |
Ascite |
nulle |
modérée |
importante |
Encéphalopathie (grade) |
0 |
1 ou 2 |
3 ou 4 |
Allongement du Temps de Quick (en secondes) |
< 4 s (ou TP > 50 %) |
4 - 6 s (ou TP 40-50 %) |
> 6 s (ou TP < 40 %) |
CBP : Cirrhose biliaire primitive TP : Taux de prothrombine
Tableau 6: Classification de Pugh [120]
La validité de ces classifications a été évaluée récemment. Le score de Pugh a une sensibilité et une spécificité de 80 % en moyenne pour déterminer le pronostic vital dun patient. Sa simplicité et sa fiabilité en font donc le critère de choix pour déterminer les chances de survie dun patient et les priorités en cas de demande de greffe [72].
Dans le cas particulier de la cirrhose éthylique, un facteur majeur daggravation est représenté par une hépatite alcoolique surajoutée, en rapport avec la persistance ou la reprise de lintoxication éthylique. Chez les sujets atteints de cirrhose alcoolique qui continuent de boire, la survie à un et cinq ans est respectivement de 65 et 35 % en cas dictère, de 65 et 30 % en cas dascite, de 60 et 20 % en cas dhémorragie digestive. Chez les sujets abstinents, la survie est alors respectivement de 70 et 60 %, de 65 et 50 % et de 50 et 35 % [15].
La fièvre, les antécédents d'ictère, l'érythrose palmaire, l'hépatomégalie, les dèmes ne semblent par contre pas avoir de signification pronostique particulière, et l'ancienneté de la maladie semble être de bon pronostic [23].
Anatomopathologie du péritoine du cirrhotique
Le péritoine du sujet cirrhotique décompensé subit également des changements. Les études nécropsiques ont montré que le péritoine viscéral est six fois plus épais comparativement au sujet normal (159,9 ± 96,4 µm contre 24,5 ± 10,6 µm). Cet épaississement ne concerne pas la couche mésothéliale mais uniquement la couche de tissu conjonctif. Il sagit dun dème de la paroi et dun phénomène de fibrose diffuse. Il existe également une infiltration par des cellules mononucléées. Le péritoine du sujet cirrhotique contient un plus grand nombre de vaisseaux sanguins, souvent dilatés. On retrouve également de façon constante un phénomène marqué de lymphangiectasies, fréquemment localisées dans les espaces situés entre les faisceaux adjacents de fibres musculaires de la couche musculaire longitudinale. Toutes ces modifications représentent une inflammation chronique non spécifique [22].
Lépaississement de la membrane péritonéale pourrait jouer un rôle retardateur dans les mouvements transpéritonéaux de lascite vers lespace vasculaire.
Physiopathologie de la formation de l'ascite
L'ascite représente l'une des manifestations les plus courantes des pathologies hépatiques graves et est souvent rencontrée en association avec la cirrhose alcoolique. Il sagit dune collection liquidienne formée dans lespace péritonéal. Le pronostic en est souvent grave, puisque la mortalité de la cirrhose compliquée dascite dépasse 50% à trois ans [11].
Quand on considère la physiopathologie de l'ascite, il est important de garder à l'esprit quà ce stade évolutif de la maladie la cirrhose est souvent constituée depuis des années, parfois des décennies, et quavant cela un ensemble complexe de perturbations hormonales, neuroendocrinologiques, hémodynamiques, nutritionnelles et biochimiques peuvent être déjà présentes. Ainsi, une large variété de pathologies peut influencer les facteurs physiologiques habituels gouvernant les échanges liquidiens et le comportement rénal à propos de l'eau et du sel.
Les facteurs les plus importants qui interviennent dans la formation de lascite sont lhypertension portale et lymphatique, ainsi que les troubles du métabolisme de leau, du sodium et de la fonction rénale [11].
Malgré le fait que de nombreux facteurs interviennent sur la rétention rénale du sodium au cours de la cirrhose hépatique évoluée, il existe clairement un ensemble de perturbations hémodynamiques qui dirige préférentiellement les liquides en dehors de la circulation hépatosplanchnique vers l'espace péritonéal sous forme d'ascite. Cependant la physiopathologie de lascite est loin dêtre univoque, et des mécanismes différents peuvent éventuellement produire les mêmes effets cliniques.
Nature du sinusoïde hépatique
Le sinusoïde hépatique joue un rôle de tout premier plan dans la formation de lascite.
Les sinusoïdes hépatiques sont des capillaires spéciaux de 6 à 10 µm de diamètre et dont la fonction fondamentale consiste à ménager un contact intime entre le sang portal et les hépatocytes afin de permettre au foie de réaliser ses fonctions de synthèse et dexcrétion. Pour faciliter cet objectif, les parois des sinusoïdes hépatiques sont formées dune couche unicellulaire fenestrée [20] et sont presque totalement perméables à des substances ayant un poids moléculaire élevé, y compris lalbumine, si bien que la concentration en protéines de la lymphe hépatique est de lordre de 95% de la concentration plasmatique [11,88,165,166]. Ils forment un réseau interconnecté de canaux sanguins séparés uniquement par une couche de cellules parenchymateuses, et dont la perfusion est très importante.
Contrairement à ce qui se passe dans dautres territoires capillaires - où la pression oncotique joue un rôle très important dans la dynamique des fluides à travers la paroi capillaire - dans le foie, léchange de liquide entre la lumière sinusoïdale et lespace interstitiel est exclusivement réglé par les différences de pression hydrostatique entre les deux compartiments, la perméabilité aux protéines étant telle que le gradient de pression oncotique transsinusoïdale est virtuellement nul [88]. Lélévation de la pression hydrostatique sinusoïdale est accompagnée dune élévation parallèle de la sortie de liquide lymphatique riche en protéines vers lespace interstitiel hépatique [11].
En conséquence, les variations de la protidémie, et donc celles de la pression oncotique qui en découlent, nont pas daction sur le débit lymphatique hépatique. On pourrait donc penser que chez le cirrhotique les fluctuations de la protidémie ne contribuent à la séquestration dascite quen agissant sur une autre cible que le sinusoïde hépatique, i.e. sur le capillaire splanchnique [88]. Cependant des études ont monté que la perméabilité aux protéines du sinusoïde hépatique nest pas constante au fur et à mesure de lévolution de la cirrhose. Schaffner et Popper [134] ont étudié les modifications des sinusoïdes au cours des hépatopathies. Ces pathologies entraînent un élargissement de lespace de Disse en raison de la rétraction des hépatocytes altérés et de laccumulation de cellules (lymphocytes et macrophages), de débris amorphes et de collagène. Pendant les hépatopathies aiguës, la paroi cellulaire des sinusoïdes sépaissit et peut compter jusquà 6 cellules dépaisseur, entrelacées de fibres collagènes. Dans la cirrhose évoluée une substance semblable à la membrane basale se dépose sur les sinusoïdes (surtout sur ceux dont la paroi a plus dune cellule dépaisseur) du coté de la lumière sinusoïdale, ce qui leur donne la même structure fonctionnelle que des capillaires et diminue nettement leur perméabilité aux protéines. La transformation dune circulation de type ouvert en une circulation de type fermé diminue lefficacité de la circulation hépatique et aggrave linsuffisance hépato-cellulaire [134].
En résumé, au début de lévolution de la maladie hépatique, lextrême perméabilité du sinusoïde ne permet pas linstallation dun gradient de pression oncotique transsinusoïdal. Par contre, plus tard dans lévolution de la maladie, alors que la fonction hépatique est déjà altérée, lapparition dune barrière sopposant à la diffusion des protéines peut accélérer la production dune lymphe hépatique moins riche en protéines, en même temps que lalbuminémie diminue [88]. De fait, chez le sujet normal, la concentration en protéines de la lymphe hépatique dans le canal thoracique représente environ 90 % de la valeur de la protidémie. Chez le cirrhotique ascitique au contraire, cette valeur diminue jusquà ne plus représenter que 50 à 55 % de la protidémie [164,166].
Origine de l'ascite
Lascite provient du compartiment vasculaire desservant les viscères hépatosplanchniques. Lascite pourrait donc provenir soit du foie, soit de la circulation intestinale, soit des deux.
Arguments cliniques et expérimentaux en faveur de l'origine hépatique de l'ascite dans la cirrhose
Si le capillaire splanchnique était la principale source de l'ascite, on pourrait s'attendre à la présence de liquide d'ascite en cas d'obstruction portale extra-hépatique. Pourtant, dans la plupart des cas, il nen est rien [124]. Même s'ils développent une hypertension portale équivalente en valeur à celle qu'on retrouve lors d'une cirrhose alcoolique, avec les conséquences habituelles que cela entraîne, c'est-à-dire la présence de varices sophagiennes, ces patients ne présentent pas d'ascite tant qu'une lésion hépatique ou une hypoalbuminémie importante ne se surajoute pas à la lésion initiale [124]. Le volume plasmatique est souvent augmenté, mais on pourrait penser que cela se produira tant que l'hypertension portale veineuse s'associe à une capacité accrue du système veineux mésentérique. Une rétention hydrosodée transitoire peut apparaître pour rétablir un volume plasmatique suffisant pour remplir l'espace vasculaire si le retour veineux et le débit cardiaque sont maintenus. Certains patients développent alors une ascite, mais le plus souvent de façon transitoire.
Dans certaines pathologies telles que la schistosomiase hépatique, la lésion hépatique s'associe à un bloc présinusoïdal et une hypertension portale importante se développe, entraînant varices sophagiennes et hémorragies digestives. Cependant il est très rare que l'on observe une ascite au cours de cette pathologie [142,164].
A l'inverse, dans les situations où le bloc est post-sinusoïdal, comme l'insuffisance cardiaque congestive, l'ascite est habituellement au premier plan des manifestations cliniques.
Dans le même ordre d'idée, les chirurgiens ont observé, lors de la réalisation de dérivations porto-cave chez des patients porteurs de cirrhoses évoluées, que le champ opératoire est constamment humecté par une "effusion liquidienne" provenant de la surface hépatique, alors que les autres organes restaient "secs" [102].
Plusieurs chercheurs, et en particulier Freeman [53] et Mallet-Guy [100], ont réalisé des études dans lesquelles le foie était repositionné en situation sus-diaphragmatique après ligature de la veine cave inférieure. Lascite ne se forme dans ce cas que dans la cavité thoracique. Si le foie est enveloppé dans un sac de cellophane, lascite nest retrouvée quà lintérieur de ce sac.
En cas de sténose partielle ou même complète de la veine porte chez le chien, lascite napparaît que lorsquil existe également une hypoprotéinémie. Même dans ce cas, lascite est peu abondante et pauvre en protéines [142].
Gibson et Smith [57] ont provoqué des cirrhoses chez le rat et ont noté que le suintement liquidien provenant du foie excédait de beaucoup celui provenant de lintestin. De plus, ainsi que Morris la montré [105], en réponse à un bloc sus-diaphragmatique aigu chez le chien, on observe une augmentation importante du flux lymphatique provenant du foie, et dimportance nettement moindre du réseau lymphatique intestinal.
Lévy et al. ont provoqué des cirrhoses chez des chiens ayant préalablement subi une fistule porto-cave termino-latérale, si bien que la pression sinusoïdale intrahépatique était élevée et la pression capillaire intrasplanchnique normale. Ils ont pourtant observé la formation dascite dans les délais habituels [89].
Cependant tous ces éléments concordent à démontrer que le foie est la principale source dascite, mais ne suffisent pas à montrer que lascite ne peut pas provenir de lintestin. De fait, certains chirurgiens ont noté que les viscères abdominaux sont humides quand on opère un cirrhotique [71]. Il est probable que le liquide dascite provient de la circulation splanchnique plus en réponse à lhypoalbuminémie quà lhypertension portale. Plusieurs indices renforcent cette idée. Les patients soufrant de syndrome néphrotique présentent souvent une ascite dans leur tableau danasarque. Puisque le sinusoïde hépatique est très perméable aux protéines, la chute du taux dalbumine nest pas en mesure daugmenter la formation de lymphe en provenance du foie. Puisquil nexiste habituellement pas dinsuffisance cardiaque congestive ou dhépatopathie, il ny a pas de force mécanique faisant dériver lascite du foie en diminuant le débit veineux. Par élimination, il sensuit que lascite provient dans ce cas des capillaires splanchniques [88]. Cette déduction physiologique est démontrée par lexpérience. Morris [105] a comparé les effets de lhypertension portale et des perfusions salines sur les débits lymphatiques hépatique et intestinal chez le chien. La réalisation dun bloc veineux hépatique entraîne une augmentation importante du débit lymphatique hépatique et seulement des changements minimes dans le débit lymphatique intestinal, alors quune perfusion rapide de sérum physiologique (entraînant une diminution de la pression oncotique par dilution) entraîne des modifications rapides et marquées du flux lymphatique intestinal mais na pratiquement aucun effet sur le flux lymphatique hépatique.
Facteurs contribuant à la formation de l'ascite
Hypertension portale
Cest un facteur quasiment indispensable à lapparition et à la pérennisation de lascite, au moins en ce qui concerne lascite accompagnant les hépatopathies
Figure 8. Circulation de la lymphe hépatique en cas de bloc intrahépatique. Linterstitium hépatique communique directement avec les lymphatiques régionaux et le compartiment péritonéal. Daprès Lévy [88]
Dans des conditions expérimentales, lélévation de la pression sinusoïdale est accompagnée dune augmentation considérable du poids et du volume hépatiques, augmentation due au passage de la lymphe de la lumière sinusoïdale vers lespace interstitiel. Ce processus est si sensible que pour chaque millimètre de mercure délévation de la pression sinusoïdale, la mesure de la production hépatique de lymphe augmente de 63% [88]. Les conséquences de lhypertension sinusoïdale sur le foie seraient encore plus importante si celui-ci ne disposait pas de mécanismes efficaces pour contrôler le volume du liquide interstitiel. Lhypertension sinusoïdale expérimentale est constamment accompagnée dune augmentation du flux lymphatique à travers le canal thoracique. Celui-ci est assimilé à une soupape déchappement par laquelle une quantité considérable du liquide extravasé des sinusoïdes est réintégrée à la circulation systémique. La seconde soupape déchappement est constituée par le passage de la lymphe directement de la surface du foie vers la cavité péritonéale. Lascite serait donc simplement la conséquence de cet échappement de liquide du foie vers le péritoine (cf figure 8) [88].
En plus de lobstacle au flux du sang portal, il existe une vasodilatation splanchnique qui mène à une augmentation de lafflux de sang à la zone portale. Laugmentation du débit sanguin portal pourrait expliquer la persistance de lélévation de la pression portale, malgré lapparition dune circulation collatérale souvent importante [11].
Troubles de la fonction rénale
Le principal trouble de la fonction rénale des patients cirrhotiques ascitiques est la rétention de sodium. Cette altération joue un rôle très important dans la physiopathologie de lascite. La preuve la plus importante en est que lon peut obtenir la disparition de lascite chez les malades cirrhotiques moyennant ladministration de diurétiques, bien que les troubles hémodynamiques splanchniques restent les mêmes. Dautre part, la suppression de ces diurétiques et linstauration dun régime riche en sel provoquent la réapparition de lascite. Lintensité de la rétention rénale de sodium varie considérablement dun individu à lautre. Chez certains malades lexcrétion de sodium est pratiquement nulle et chez dautres elle est relativement élevée. Chez ces derniers, la réduction des apports sodés peut suffire pour que sétablisse un bilan négatif de sodium et pour que lascite disparaisse [42].
Les patients cirrhotiques atteints dascite présentent une altération de la capacité rénale dexcréter leau libre, mais la plupart des cirrhotique excrètent tout de même une urine diluée (inférieure à 100 mOsmol par kilogramme deau) en réponse à la charge en eau [153]. Cette altération est intimement liée à la rétention rénale de sodium. Lintensité de ce trouble varie aussi selon les malades. Cest ainsi que chez certains cette altération ne peut être décelée qu'après des épreuves de surcharge hydrique, et que chez dautres le trouble est si important quil provoque une impossibilité dexcréter lexcès deau ingérée. Cependant cest uniquement chez le cirrhotique en insuffisance rénale que lon observe ainsi une déficience totale de cette importante fonction homéostatique, et il existe une forte corrélation entre la sévérité de létat clinique du patient et la diminution de sa capacité de dilution rénale [153]. Leau demeure donc retenue dans lorganisme, diluant le milieu interne et entraînant une hyponatrémie et une hypo-osmolarité plasmatique. Des études isotopiques ont monté que la quantité totale de sodium des patients ascitiques est très élevée, ce qui confirme que le mécanisme de lhyponatrémie ne peut être que la dilution de ce sodium dans une quantité proportionnellement encore plus grande deau. De nombreuses études impliquent une augmentation de lhormone anti-diurétique en tant que facteur pathologique dominant [19,153]. Plus récemment, on a également suggéré que le Thromboxane A2 pourrait également affecter lexcrétion rénale de leau chez les cirrhotiques ascitiques [153,169].
La troisième altération de la fonction rénale est linsuffisance rénale fonctionnelle. Ce chapitre a déjà été développé précédemment. Rappelons donc seulement quelle est très fréquente et quon ne retrouve pas danomalie anatomique rénale dans ce cadre. De plus, après transplantation à des insuffisants rénaux chroniques de reins provenant de patients cirrhotiques ascitiques ayant un syndrome hépatorénal, ces organes retrouvent un fonctionnement tout à fait normal [82] et linsuffisance rénale peut disparaître avec lexpansion du volume plasmatique obtenue par létablissement dune communication péritonéo-veineuse de LeVeen [160] ou après transplantation dun foie sain [74].
Influence du système Rénine-Angiotensine-Aldostérone
Il est habituellement admis que la cirrhose est un état dans lesquels on retrouve des taux élevés de rénine et daldostérone. Cependant cela na pas été confirmé expérimentalement puisque dans les séries étudiées seulement 35 à 50% des patients ascitiques présentent de tels taux élevés [42,161]. Etant donné les valeurs normales de laldostéronémie chez de nombreux patients qui retiennent pourtant activement du sodium, limportance de laldostérone a été remise en question dans la pathogénie de lascite. Cependant il existe des éléments en sa faveur [161]:
- lexcrétion rénale du sodium est étroitement liée à la concentration plasmatique et à lexcrétion rénale de laldostérone, quel que soit létat de la balance du sodium;
- le volume sanguin, en tant quexpression de la rétention rénale du sodium, est bien corrélé avec la concentration plasmatique de laldostérone;
- les antagonistes de laldostérone tels que la spironolactone, ou la surrénalectomie, inversent invariablement la rétention sodée, pourvu quil ny ait pas encore dinsuffisance rénale;
- pendant les expériences de blocage b-adrénergique, il a été observé que lexcrétion rénale du sodium augmente ou diminue exactement comme le voudraient les variations de laldostérone.
Pourtant les troubles circulatoires de la cirrhose sont de nature complexe. Classiquement, on avait suggéré que lhypersécrétion de rénine de la cirrhose était due à une activation des barorécepteurs rénaux causée par la diminution de la perfusion rénale que présentent ces malades. Cependant, des études ultérieures ont montré que le système rénine-angiotensine-aldostérone peut être franchement activé chez les cirrhotiques atteints dascite présentant un flux sanguin rénal normal [7,11] et que lexpansion du volume plasmatique entraîne chez ces malades la suppression de lactivité rénine plasmatique, indépendamment de changements hémodynamiques rénaux [11,39]. Enfin, même en cas de suppression du système rénine-angiotensine-aldostérone, une rétention sodée urinaire peut survenir chez le cirrhotique [18]. Ceci montre clairement que lhypersécrétion de rénine dans la cirrhose est liée à un trouble hémodynamique systémique et non à une diminution isolée de la perfusion rénale [11].
Facteur atrial natriurétique
Il sagit dun peptide de 28 acides aminés sécrété par la paroi musculaire atriale. Il joue un rôle majeur dans la régulation de lexcrétion sodée. Il est sécrété en réponse à laugmentation du volume sanguin central. Dans le cadre de la théorie de la diminution du volume circulant efficace, on pourrait s'attendre à une diminution des taux circulant du facteur atrial natriurétique en réponse à une diminution de la pression intracardiaque. Or les concentrations du facteur atrial natriurétique dans le cadre de lascite sont variables, mais la plupart des études ont montré des valeurs augmentées ou normales [136]. De plus, contrairement à ce qui ce passe pour laldostérone, il existe au cours de la cirrhose une diminution de la sensibilité rénale à l'effet natriurétique du facteur atrial natriurétique. Quil sagisse dune insensibilité vraie ou dune régulation déplacée vers le bas de la sensibilité des récepteurs, cela reste à déterminer [161].
Activité sympathique
Laugmentation de lactivité sympathique rénale entraîne une augmentation de la réabsorption sodée. En effet les concentrations plasmatiques de noradrénaline (considérée en tant quindex indirect de lactivité sympathique) sont augmentées dans les cirrhoses ascitiques et sont inversement corrélées à lexcrétion sodée [18,161], alors quil existe un rapport direct entre lactivité rénine plasmatique et le taux de norépinéphrine, ce qui fait penser que les deux systèmes sont activés par la même cause [10,18]. On a également noté une corrélation significative entre les taux d'arginine-vasopressine et les taux de norépinéphrine [18]. La noradrénaline plasmatique élevée est donc le témoin dune augmentation de lactivité nerveuse rénale sympathique qui pourrait stimuler le système rénine-angiotensine-aldostérone et accroître ainsi la réabsorption distale du sodium. Lexcès de noradrénaline circulante pourrait expliquer la diminution du débit sanguin rénal et donc de la filtration glomérulaire [128]. De façon consécutive et proportionnelle à la diminution du volume circulant efficace, on assisterait donc à une augmentation de la noradrénaline plasmatique qui serait le témoin de cette activité sympathique accrue [18,104].
Altération du fonctionnement hépatique: diminution de la synthèse de l'albumine
Linsuffisance hépatique entraîne une diminution de la synthèse de lalbumine et des changements dans la manière dont de nombreuses substances hormonales sont métabolisées.
Normalement le foie synthétise de 11 à 15 grammes dalbumine par jour, mais en cas de cirrhose évoluée on observe une diminution de 60 à 80% de cette production. De plus la rétention hydrosodée entraîne un phénomène de dilution et une proportion non négligeable de lalbumine de lorganisme se retrouve séquestrée au niveau de lascite, ce qui aggrave encore lhypoalbuminémie. Au premier stade de la cirrhose, lhypoalbuminémie, du fait de la nature spéciale du sinusoïde hépatique, ne doit jouer quun rôle mineur dans la formation de lascite au niveau splanchnique. Cependant, au fur et à mesure de lévolution de la maladie, ce rôle est probablement plus important. En effet, lhypoalbuminémie est de plus en plus marquée et se conjugue avec le phénomène de capillarisation progressive des sinusoïdes hépatiques pour créer un gradient de pression oncotique transsinusoïdal. Il faut aussi rappeler que dans certains cas extrêmes comme le syndrome néphrotique lhypoalbuminémie peut parfois suffire à induire une ascite même en labsence de toute hypertension portale [88]. Cependant, dans le cas des cirrhotiques, les tentatives de mobilisation de lascite par perfusion dalbumine ne sont pas suivies de succès, ce qui indique que le rôle de lhypoalbuminémie nest quaccessoire chez ces patients [88].
Lhypoalbuminémie combinée à laugmentation de la pression hydrostatique contribue plus à la séquestration liquidienne sous forme ddèmes des membres inférieurs, participant ainsi à la création dune diminution du volume sanguin circulant efficace [87].
Fonction myocardique
Quand les cirrhotiques sont décompensés avec lapparition d'une ascite importante ou dune insuffisance rénale, la fonction du ventricule gauche est souvent altérée. Le fait que le débit cardiaque soit souvent augmenté chez les cirrhotiques ne doit pas masquer cette altération de la fonction myocardique. En effet, laugmentation du débit cardiaque nest rendue possible que par les faibles résistances vasculaires périphériques, en relation entre autres avec lexistence de nombreuses fistules artério-veineuses. Si la post-charge myocardique revient à un niveau normal, le cur ne peut pas sadapter et linsuffisance cardiaque congestive apparaît aussitôt. La dépression de la fonction myocardique peut être un facteur de lhypotension si fréquente chez les patients cirrhotiques. La myocardiopathie alcoolique, la malnutrition et les anomalies électrolytiques variées (Ca++, Mg++, PO4--, K+) peuvent interférer avec la fonction ventriculaire et aggraver lhypertension portale, et ainsi retentir sur la formation de lascite [88].
Facteurs hormonaux et humoraux
De nombreux facteurs hormonaux peuvent intervenir dans la formation de lascite, plus par leur influence sur le comportement rénal du sodium que par une action directe sur la séquestration liquidienne de lascite.
Le rôle de lhormone antidiurétique (ADH ou arginine-vasopressine) est important en pratique, puisquil conditionne lhyponatrémie habituelle chez ces patients, qui ne correspond pas à un déficit en sodium, mais indique que la rétention deau est supérieure à celle du sodium. Cette anomalie de lexcrétion de leau libre semble due à une augmentation de larginine-vasopressine, liée à une stimulation non osmotique qui se ferait par lintermédiaire dune diminution du volume circulant efficace. Les manuvres qui augmentent le volume circulant efficace, telles que limmersion en piscine des cirrhotiques avec ascite, réduisent larginine-vasopressine et augmentent lexcrétion de leau [19,104].
Ainsi que nous l'avons déjà signalé, la noradrénaline plasmatique élevée est le témoin d'une augmentation de l'activité nerveuse rénale sympathique [18,104].
Dautres anomalies humorales (prostaglandines, facteurs natriurétiques) existent au cours de la cirrhose avec ascite; leur rôle nest pas encore bien compris aujourdhui. Mais il a été démontré que ladministration dinhibiteurs de la synthèse des prostaglandines chez des cirrhotiques avec ascite peut diminuer le débit sanguin rénal (cf supra), la filtration glomérulaire, lexcrétion sodée et peut même mener à linsuffisance rénale fonctionnelle simulant en tout point le syndrome hépatorénal [10,136]. La production intrarénale de prostaglandines E pourrait en effet constituer un mécanisme protecteur contre les mécanismes vasoconstricteurs habituels au cours de la cirrhose [18,104].
Le rôle dautres facteurs tels que le système kallikréine-kinine dans la rétention hydrosodée du cirrhotique nest encore quhypothétique [104]. Il semblerait qu'il préserve également le rein contre une vasoconstriction excessive [136].
Physiopathologie du péritoine
Nous avons déjà examiné la physiologie péritonéale à loccasion du chapitre consacré à la dialyse péritonéale. Cependant il est bon de préciser quelques points concernant la physiopathologie du péritoine du sujet cirrhotique et ascitique.
Circulation de la lymphe
Quand la pression intrasinusoïdale monte, la quantité de lymphe produite augmente considérablement. Cette lymphe rejoint ensuite lespace vasculaire par les lymphatiques hépatiques et le canal thoracique. tant que ce retour peut éponger le surplus de formation de lymphe, il ny a pas daccumulation dascite ni deffet général hémodynamique ni de retentissement rénal. Il existe cependant une limite au débit du canal thoracique, probablement due à la résistance due à lostium fibreux. Normalement, le débit est de 800 à 1000 ml par jour. Chez le cirrhotique ascitique, des débits de 8 à 10 litres par jour ne sont pas rares, et des valeurs jusquà 20 litres par jour ont déjà été retrouvées [163]. Quand la capacité du retour lymphatique est dépassée, il y a accumulation dans la cavité péritonéale (cf figure 8 ).
Laccumulation de lymphe sous forme dascite pourrait jouer un rôle dautorégulation de la formation de lymphe hépatique par laugmentation de la pression intra-abdominale ainsi créée, diminuant dautant le gradient de pression sinusoïdale. Cependant le volume potentiel abdominal est si important quil faut laccumulation de 700 ml de liquide pour obtenir une augmentation de pression de 1 mm Hg, si bien que ce mécanisme ne joue quun rôle tout à fait accessoire [67].
Réabsorption liquidienne par le péritoine
Le liquide accumulé dans lespace péritonéal peut également être réabsorbé par les capillaires splanchniques. Il existe en effet des échanges entre le compartiment péritonéal et le compartiment vasculaire splanchnique. Cependant ils sont limités et laltération de forces de Starling rendent cette réabsorption difficile. Dans les faits, le maximum de liquide ainsi réabsorbé atteint seulement 900 ml par jour [140]. Cette réabsorption est directement proportionnelle à la pression intrapéritonéale. La richesse ou la pauvreté en protéines du liquide dascite ne joue aucun rôle dans ce phénomène [88].
Hémodynamique splanchnique
Laltération de lhémodynamique splanchnique pourrait influencer la formation de lascite de différentes façons.
Tout dabord, on peut observer une augmentation non négligeable des flux sanguins hépatique ou splanchnique. Comme la micro vascularisation hépatique et intestinale est confrontée aux problèmes de laugmentation de la pression hydrostatique et de la diminution de la pression oncotique plasmatique, laugmentation de lafflux sanguin peut aboutir à laugmentation de la production lymphatique.
Enfin, le développement danastomoses artério-veineuses au cur de la circulation splanchnique pourrait entraîner une importante augmentation de la pression veineuse portale, ce qui aggraverait la formation dascite [88].
Physiopathologie de la formation de l'ascite
Ainsi que nous venons de le voir, de nombreux facteurs interviennent dans la formation de lascite. Ces facteurs sont intimement liés chez le cirrhotique [11] et la physiopathologie exacte de la formation de lascite est encore à ce jour discutée.
Quelque soit la situation clinique, pour quon retrouve une accumulation liquidienne, il faut que le bilan sodé soit négatif [161].
Théorie classique : rôle de lhypertension portale et de lhyperproduction lymphatique
La théorie classique sur la physiopathologie de la formation de l'ascite considérait quelle était la conséquence de la rupture de léquilibre de Starling dans la circulation splanchnique, rupture causée par lhypertension portale. Celle-ci favoriserait le passage de lascite du compartiment intravasculaire vers la cavité péritonéale, et lhypoalbuminémie accentuerait le phénomène. De même, le blocage post-sinusoïdal de la circulation sanguine provoquerait une augmentation de la production hépatique de lymphe. Lorsque lhypertension portale est importante, cette production lymphatique surpasserait la capacité de drainage du canal thoracique, ce qui provoquerait une hypertension lymphatique et le passage de la lymphe de la surface du foie vers la cavité abdominale. Finalement lhypertension portale produirait une dilatation du territoire veineux splanchnique et une accumulation de sang dans cette zone vasculaire. Toutes ces altérations entraîneraient donc une réduction du volume sanguin circulant, provoquant une rétention deau et de sodium. Mais leau et le sodium retenus par le rein ne seraient pas capables de normaliser le trouble circulatoire car ils s'accumuleraient dans la cavité péritonéale et augmenteraient lascite, ce qui perpétuerait le trouble. Linsuffisance rénale fonctionnelle constituerait la manifestation extrême de l'hypovolémie circulante [56,88]. Le déroulement chronologique de ces phénomènes est résumé figure 9.
Figure 9. Relations temporelles entre la rétention sodée urinaire, le volume plasmatique et la formation de lascite selon la théorie classique.
Daprès Bichet [18] et Lévy [88]
Cette hypothèse était soutenue par des études effectuées entre les années 1950 et 1970, concernant la production hépatique de lymphe chez les sujets cirrhotiques. Ainsi que nous lavons vu, chez le sujet normal le flux lymphatique à travers le conduit thoracique est de 800 à 1000 ml par jour. Cependant, chez les malades cirrhotiques ascitiques, ce flux peut atteindre 8, 10 ou même 20 litres par jour [165]. Etant donné que le drainage du canal thoracique est limité par la nature fibreuse de lostium de désengorgement ainsi que par lexistence de ses valvules, il est naturel que lon trouve une hypertension lymphatique chez ces malades [11], ce qui mène vers un débordement du système et au passage de la lymphe excédentaire vers le péritoine. Dans cette hypothèse, la rétention sodée urinaire est secondaire à la formation de lascite et à la contraction volémique qui en résulte [88].
La vasodilatation artériolaire splanchnique comme fait initial
Les travaux effectués plus récemment montrent clairement que la rétention rénale de sodium précède toujours lapparition de lascite. Par conséquent ces résultats sont contraires à la théorie classique de la physiopathologie de lascite, telle quelle est exposée ci-dessus. En outre, les mesures hémodynamiques montrent constamment que les malades cirrhotiques présentent un index cardiaque et un volume plasmatique nettement élevés, ce qui indique que, contrairement à ce que suggère la théorie classique, il existe dans la cirrhose une augmentation du volume sanguin total [90,91,92]. Comme les résistances périphériques sont faibles, la baisse de la tension artérielle est probablement liée à une vasodilatation artériolaire, ainsi quà louverture des multiples shunts artério-veineux consécutifs à lhypertension portale [87]. La localisation de cette vasodilatation artériolaire est probablement le territoire splanchnique ou les territoires musculo-cutanés [136]. Lhypertension portale entraîne donc une vasodilatation splanchnique et une baisse de la pression artérielle systémique et une diminution du volume circulant efficace malgré un volume sanguin total augmenté [18]. Les barorécepteurs et les récepteurs volumiques sont alors mis en uvre et activent le système nerveux sympathique et le système rénine-angiotensine-aldostérone. Par leur entremise, on observe alors dune part une augmentation de la pression artérielle systémique, et dautre part une rétention hydrosodée rénale tendant à augmenter le contenu intravasculaire et ainsi également à augmenter la pression artérielle systémique. En cas dhypertension portale peu importante, ce processus aboutit à une normalisation du rapport entre le contenu et le contenant vasculaires, donc à la disparition de lactivation du système nerveux sympathique et du système rénine-angiotensine-aldostérone. Le patient est en état déquilibre, au prix d'une augmentation du volume sanguin total, d'une augmentation du débit cardiaque et d'une vasodilatation artérielle périphérique [136].
Par contre, en cas dhypertension portale importante, la rétention hydrosodée ne parvient pas à normaliser la situation car la vasodilatation artériolaire est trop importante et lhypertension portale entraîne une extravasation du liquide retenu par le rein vers la cavité péritonéale et aboutit donc à la formation dascite. Le système nerveux sympathique et le système rénine-angiotensine-aldostérone restent donc activés pour essayer de maintenir la pression artérielle, provoquant une vasoconstriction rénale par lintermédiaire de langiotensine II. En même temps, pour combattre cet effet vasoconstricteur de langiotensine II, le rein du malade cirrhotique augmente sa production de prostaglandines et de kallikréine pour maintenir le débit sanguin rénal [11,136,161]. Cette hypothèse est résumée par la figure 10.
Figure 10. Relations temporelles entre la rétention sodée urinaire, le volume plasmatique et la formation de lascite suivant la théorie de la vasodilatation initiale.
Daprès Arroyo [11].
Cette théorie correspond donc aussi à un modèle de diminution du volume circulant efficace, mais dans ce cas cette dernière est considérée comme étant la cause de la formation de lascite et non sa conséquence. Si cette théorie peut être vraie chez le tiers des patients qui ont une stimulation du système rénine-angiotensine-aldostérone, elle nest pas satisfaisante pour les patients chez lesquels on trouve des valeurs normales daldostéronémie et des taux augmentés de facteur atrial natriurétique [11].
Pour expliquer les mécanismes impliqués chez ces patients tout en restant cohérent avec la diminution du volume circulant efficace, il faut supposer un certain nombre déléments, dont linactivation du système rénine-angiotensine-aldostérone avant lexistence clinique dune rétention liquidienne, et la possible altération de la sensibilité du tubule rénal à laldostérone et au facteur atrial natriurétique [136,161]. Schrier et al. postulent également, pour expliquer ces taux élevés de facteur atrial natriurétique, que la vasodilatation artériolaire entraîne une production accrue de vasopressine, d'angiotensine et de norépinéphrine suffisant à maintenir la précharge cardiaque par leur action de vasoconstriction, et que donc la pression atriale reste normale, voire augmentée [136].
Létude des patients avant quils ne développent une ascite peut aider linterprétation. Quelle quen soit la cause, la relation entre laldostérone et lexcrétion sodée est anormale à ce stade de la maladie. Probablement, au cours du développement de lanomalie, les taux précédemment normaux daldostérone entraînent un certain degré de rétention liquidienne qui rend compte de lexpansion plasmatique observé à ce stade de la maladie. Il existerait chez ces patients une hypersensibilité du tubule rénal à laldostérone. En effet, on a remarqué que 25 % des cirrhotiques ascitiques qui ont une aldostéronémie plasmatique normale répondent tout de même à laction des anti-aldostérone telle que la spironolactone [136]. Si ce liquide reste à lintérieur du compartiment constituant la volémie dite efficace, cela peut expliquer la suppression du système rénine-angiotensine-aldostérone, donc un retour de la balance du sodium vers une augmentation de la quantité totale du sodium de lorganisme. Ce processus pourrait être accentué par une diminution de la sensibilité rénale au facteur natriurétique atrial [161].
Théorie alternative: la surcharge volémique
Une alternative au concept traditionnel de la physiopathologie de la formation de lascite est la théorie de l overflow ou surcharge volémique [90]. La rétention hydrosodée au niveau rénal est considérée comme le fait pathologique initial avec la localisation de cet excès de liquide extra-cellulaire au niveau de la cavité péritonéale quand des facteurs tels quune hypertension portale et une réduction de la pression oncotique plasmatique favorisent la formation de lascite. Cette théorie convient particulièrement aux 35% de patients chez lesquels le système rénine-angiotensine-aldostérone nest pas stimulé et chez qui lon retrouve des taux élevés dhormone natriurétique [161].
Cette théorie a été développée par Lieberman, Reynolds et leurs collaborateurs il y a 20 ans [90,91,92] en se fondant sur une série dobservations de patients cirrhotiques. Ils avaient remarqué chez ces patients que :
- le volume plasmatique était invariablement augmenté;
- les patients cliniquement équilibrés auxquels on donnait de fortes doses dhormone retenant le sel (telles que lacétate de désoxycorticostérone) commençaient à séquestrer de lascite;
- la ponction dascite ne saccompagnait pas dune reformation immédiate dascite dans la période de 4 heures qui suivait cette ponction;
- le volume plasmatique extra-splanchnique ne se réduisait pas pendant la formation de lascite.
Figure 11. Relations temporelles entre la rétention sodée urinaire, le volume plasmatique et la formation de lascite suivant la théorie de la surcharge volémique. Daprès Bichet [18] et Lévy [88]
Ils ont donc suggéré que la cirrhose hépatique évoluée est associée à un signal de rétention sodée pour le tubule rénal. Le mécanisme exact de ce signal reste hypothétique. On a postulé l'existence d'un réflexe hépatorénal par lintermédiaire de barorécepteurs hépatiques [90,136]. Au fur et à mesure de la rétention hydrosodée et de lexpansion plasmatique, la conjonction des anomalies des forces de Starling, de cette expansion plasmatique et de lhypertension portale entraîne une accumulation dascite. Ainsi formulée, lascite est secondaire à la rétention hydrosodée et donc correspond à une surcharge volémique vasculaire, et jouerait le rôle dune soupape de sécurité permettant de résorber lexcédent de volume plasmatique [90]. La figure 11 résume le déroulement chronologique de ces phénomènes.
Cette hypothèse a été expérimentalement confirmée chez lanimal [11,18,88,89,136,161] mais pas chez lhomme. Les études de Lieberman et al. sont cependant critiquées, car ces auteurs considèrent que le volume circulant efficace et le volume plasmatique mesuré sont égaux, ce qui ne fait pas lunanimité [18].
Relations entre les différentes théories
Le tableau suivant résume ce qui se passe en fonction de lune ou de lautre théorie et donc ce qui les différencie principalement:
Tableau 7 (daprès Lévy [88])
en cas de : |
Diminution du VCE* |
Surcharge volémique |
Rétention sodée urinaire |
Secondaire à la formation dascite | Précède la formation dascite |
Volume plasmatique splanchnique | Augmenté | Augment |
Volume plasmatique extra-splanchnique | Diminué | Augmenté |
Mobilisation de lascite (shunt de LeVeen) | La rétention sodée urinaire disparaît | La rétention sodée urinaire persiste |
Ponction dascite | Réapparition partielle de lascite | Pas de réapparition de lascite (sauf ingestion sodée) |
* Volume circulant efficace
On retrouve fréquemment chez les patients alcooliques avec une cirrhose évoluée et de lascite une déplétion vasculaire. Ceci semblerait militer contre lhypothèse de la surcharge volumique. Cependant plusieurs points méritent dêtre considérés plus avant. Cette hypothèse ne concerne, stricto sensu, que la relation temporelle entre le début de la rétention sodée et lapparition de lascite. Une fois lascite établie, en présence dune hépatopathie évoluée, des phénomènes secondaires peuvent survenir, permettant le sous-remplissage vasculaire et diminuant la dépendance de la formation de lascite par rapport à la rétention sodée urinaire. Cest ainsi que les apports sodés inadaptés, les pertes liquidiennes dorigine digestive (vomissements ou diarrhée), les hémorragies, labus de diurétiques et les dèmes des membres inférieurs vont agir dans le sens dune déplétion du volume sanguin artériel. Le remplissage à partir de la masse dascite ne pourrait se faire quà partir dune réabsorption liquidienne par les capillaires splanchniques, les lymphatiques régionaux étant déjà largement saturés. Or, au niveau de ces capillaires, les forces de Starling (du fait de lhypertension portale et de la réduction de la pression oncotique) ne favorisent pas la réabsorption, mais au contraire la fuite de liquide vers lespace péritonéal [88]. Ainsi on a pu calculer [140] que le transfert transpéritonéal dascite maximal chez de tels patients ne dépassait pas 900 ml par jour. En conséquence, toute différence entre la déplétion et la réplétion vasculaires ou le remplissage extrinsèque va entraîner le patient vers un modèle dhypovolémie efficace.
Figure 12. Théorie uniciste de la rétention hydrosodée en cas de cirrhose. Daprès Bichet [18]
Better et Schrier [17] ont proposé une théorie uniciste qui admet une diminution du volume circulant efficace central avec en conséquence une rétention sodée; et aussi une rétention sodée rénale primaire liée à une augmentation des pressions intrahépatiques. Dans ce cadre global, la rétention rénale deau et de sodium apparaît liée à une diminution de la filtration glomérulaire et à une augmentation de la réabsorption tubulaire rénale de leau et du sodium aussi bien au niveau proximal quau niveau distal. La diminution du volume circulant efficace entraîne une hypersécrétion darginine vasopressine responsable de la réabsorption tubulaire distale excessive deau et une augmentation du tonus sympathique rénal qui est responsable dune diminution de la filtration glomérulaire; il en résulte donc une hypersécrétion de rénine-angiotensine et donc daldostérone, sans phénomène possible déchappement à cette hormone. De plus, lhypersécrétion de rénine-angiotensine diminue la filtration glomérulaire et augmente la réabsorption tubulaire proximale de sodium et deau. Selon la théorie de la surcharge volémique, laccroissement de la pression intrahépatique entraînerait, par des médiateurs qui restent à préciser, une augmentation du tonus sympathique rénal avec les mêmes conséquences qui viennent dêtre décrites précédemment [104]. La figure 12 résume le déroulement de la rétention hydrosodée suivant cette théorie
Il ne faut donc pas chercher à simplifier à loutrance un ensemble de phénomènes complexes et plus ou moins intriqués. Une description complète de la physiopathologie de la formation de lascite doit inclure les deux théories de la diminution du volume circulant efficace et de la surcharge volémique qui peuvent coexister lors de lévolution dune cirrhose. En effet, il est important de se souvenir que les études effectuées chez les malades cirrhotiques le sont soit avant lapparition de lascite, soit lorsque lascite est installée. On mesure donc ponctuellement et de façon statique des états différents (cirrhose sans ascite et cirrhose ascitique) correspondant à un certain état déquilibre. Le problème est de réaliser des mesures dynamiques au cours du déséquilibre métabolique qui accompagne linstallation de lascite [11,136,161].
Au-delà de ces théories, il reste en pratique la réalité dun profond déséquilibre du métabolisme hydrosodé au profit des entrées et aux dépens des sorties, ce qui justifie le régime désodé et le traitement diurétique comme traitement fondamental de lascite des cirrhoses [104].
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